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beaucoup à regretter les suites de cette entreprise, si, pour 500 millions qu’elle nous aurait demandés, elle finissait par verser 50 millions par an au trésor et 200 millions de produits dans notre commerce ? Que la spéculation s’enrichisse en Afrique, cela diminuera-t-il sensiblement pour l’état les charges trop lourdes de notre occupation africaine. Pour réduire ces charges et les changer même en bénéfices, un colon qui consomme en produisant et qui ne consomme qu’à la condition de produire vaut mieux qu’un spéculateur qui s’enrichirait sans rien dépenser. Certes l’Irlande est un pays riche, qui produit bien au-delà de ses besoins : pourquoi donc, ruine-t-elle l’état britannique au lieu de l’enrichir ? C’est précisément parce qu’elle produit pour ceux qui ne consomment pas, du moins chez elle. Quoi qu’il en coûte, mettons donc sur la terre d’Afrique le plus de consommateurs possible à même de produire, et on peut tenir pour certain qu’ils produiront d’autant plus qu’ils consommeront davantage.

La dotation étant votée par les conseils-généraux, trouvera-t-on à recruter convenablement le personnel des villages départementaux ? Cela ne fait pas pour nous l’objet d’un doute. Partout où l’administration départementale a pris l’initiative de l’œuvre, dans le Var, dans la Haute-Sôone, dans la Bretagne, partout la population a répondu à son appel. Les 60 familles installées à Vesoul-Benian, premier essai de peuplement départemental en Algérie fait aux frais de l’état, ont obtenu des succès si décisifs en trois mois de travail, que, dans la province d’Alger même, où une seule récolte fait souvent passer le colon de la misère à l’aisance, on en a été surpris. Vesoul-Benian a produit assez de blé et de légumes pour son entretien de l’année, assez de tabac pour réaliser un premier bénéfice, sans parler des plantations de vignes qui sont une avance féconde faite à l’avenir.

Nous les avons vus et étudiés à l’œuvre, ces éclaireurs de la grande armée colonisatrice, si facile à recruter dans nos campagnes, devenues trop étroites. Oui, ce sont bien là les colons tels qu’il les faut pour remplir les cadres des villages départementaux : — des paysans qui n’ont plus assez de terres en France pour suffire aux besoins toujours plus onéreux de leur famille grandissante ou grossissante. L’aisance est encore chez eux, mais la misère est à leur porte. Le nombre de ces paysans entre l’aisance et la misère augmente tous les jours en France. C’est sur ce contingent qu’il faut compter pour les villages départementaux : il répondra largement à l’appel des conseils-généraux : il a déjà répondu à l’appel des préfets, et le nombre des familles qui se présenteront à l’enrôlement colonial sera tel qu’il y aura de quoi former une réserve pour la colonisation future. Ils accourront avec joie, ces pères de famille qui s’inquiètent de la misère prochaine, et que l’on aura sauvés de l’abandon, du déshonneur peut-être. Une fois installés en Afrique, ils n’attendront même pas leur première récolte pour vendre le patrimoine amaigri qu’ils auront laissé en France, et par le nombre de ces familles rachetées, moyennant une dotation à peine sensible, de la dissolution qui les menace en France, on pourra calculer la grandeur du service rendu à la société française d’abord, et tout prochainement aux finances publiques.


FRANÇOIS DUCUING.