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institutions des Hindous, il en fit une application constante aux pays que la conquête rangea successivement sous sa domination. Les omrahs de la cour moghole représentent historiquement la pairie en Angleterre, avec cette différence toutefois qu’ils ne transmettaient à leurs descendans ni leurs titres ni leurs dignités. Cette circonstance est digne d’attention ; elle nous montre en effet que dans la variété infinie des gouvernemens sous lesquels de grandes nations ont prospéré jusqu’à notre époque, le principe de l’égalité civile des familles a pu être maintenu avec avantage dans un état despotique, tandis que l’institution de la noblesse héréditaire et les privilèges de la naissance se sont combinés, sans inconvéniens sensibles, dans une monarchie républicaine avec une représentation nationale restrictive du pouvoir souverain et la liberté de la presse. Le fait est que l’organisation du vaste empire moghol telle que l’a conçue et réalisée le génie d’Akbăr différait essentiellement de tous les gouvernemens qui avaient précédé le sien. C’était une monarchie despotique tempérée par le protectorat, les privilèges des communes, et subsidiairement, dans un grand nombre de cas, par les droits de la féodalité héréditaire et le pouvoir seigneurial concédé pour un temps.


II. — L’AYIN-AKBĂRY ET LES THÉORIES GOUVERNEMENTALES d’AKBĂR.

La source principale où il faut puiser non-seulement des données précises sur le gouvernement d’Akbăr, mais encore des renseignemens positifs sur l’esprit et les mœurs de son époque, est sans contredit l’Ayîn-Akbăry. Les justes reproches qui ont été adressés à la rédaction de ce grand ouvrage, et qu’Elphinstone en particulier a fait valoir avec une sage critique et une grande impartialité, doivent nous mettre en garde contre les témoignages d’Abou’l-Fazl en tout ce qui touche au récit des faits qui peuvent affecter la réputation de prudence, de sagesse, d’impeccabilité relative qu’il revendique partout pour son héros ; mais à l’égard des institutions gouvernementales, des règlemens administratifs, de la vie publique du souverain et des habitudes de sa vie privée, l’Ayîn-Akbăry, appuyé, comme l’est son témoignage, par toutes les autorités contemporaines sans exception, doit être considéré comme le monument le plus précieux qui nous ait été transmis par le XVIe siècle sur l’état politique et social de l’extrême Orient. Nous sommes loin de penser cependant que la traduction de Gladwin fasse pleinement connaître cet admirable recueil. Cette prétendue traduction (comme le dit Duncan Forbes)[1], publiée il y a

  1. Voyez l’article Akbăr du Biographical Dictionary of the Society for the diffusion of useful knowledge, London 1842 à 1844, in-8o, ouvrage remarquable dont il n’a paru que les trois premiers volumes en six parties, et la première partie du quatrième volume.