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de respect de l’humanité, dans un siècle, il est vrai, plus voisin de la barbarie, mais chez un peuple plus compacte, plus homogène et plus fort), il ne dédaignait aucun détail et paraissait aussi soucieux de l’entretien de ses jardins, de la prospérité de ses écuries, de ses étables, de ses pigeonniers, du bon état de ses ateliers de menuiserie et d’armurerie, que de la bonne organisation de ses troupes, des triomphes de ses armes ou de sa politique, de la vigilance de sa police, de la tranquillité et du bien-être de ses sujets. l’Ayîn-Akbăry, rédigé par son ordre et sous ses yeux, nous a transmis ces règlemens ou institutions avec leurs exposés de motifs tracés de main de maître. Bien que la rédaction de ce bel ouvrage se ressente des habitudes d’adulation qui s’unissaient dans l’esprit d’Abou’l-Fazl (comme dans celui de tous les seigneurs de ce temps) à une admiration sincère du grand empereur, il est impossible de le lire avec attention sans se convaincre qu’Akbăr était un homme d’une haute intelligence, d’une bonté et d’une magnanimité qui devaient lui gagner tous les cœurs, et de plus d’une piété exaltée. Sous ce dernier rapport, le caractère d’Akbăr mérite d’être étudié avec un soin particulier, parce que ce tour religieux de son esprit a exercé une très grande influence sur ses déterminations comme souverain, et ne nous semble avoir été suffisamment apprécié ni par les historiens indigènes ni par les historiens européens.

L’immense série des croyances religieuses qui règnent encore depuis la Perse et l’antique Bactriane jusqu’aux rives du Brahmapouttra offre un des sujets d’études les plus vastes et les plus curieux, que le philosophe et le moraliste puissent embrasser. Ces croyances ont plusieurs points de contact, mais on y peut signaler aussi les divergences les plus singulières, en sorte que deux systèmes de croyances partis clairement de la même source aboutissent à des résultats opposés, ou que, se rencontrant, se confondant pour ainsi dire en un point capital, ils s’éloignent ou se contredisent de façon à dérouter toute recherche. On y est parfois choqué du mélange des dogmes ou de la perversion des principes : à côté d’une conception qui vous frappe par sa sublimité, viennent se placer les manifestations d’une crédulité dégradante : à côté de l’ascétisme le plus rigoureux, de la pureté et de la simplicité des mœurs, surgissent le matérialisme le plus hardi, la sensualité la plus effrénée. Les élémens les plus discordans y sont comme mêlés et confondus. Au milieu de ce chaos, une sorte de poésie superstitieuse plane sur toutes les existences, pénètre toutes les intelligences et les unit par un lien mystérieux. Un Indien vit et respire dans l’atmosphère du surnaturel : un dieu, un esprit, un ange, un diable, une fée ou une sorcière, l’épie et le surveille, pour ainsi dire, caché derrière chaque buisson ou chaque