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qu’avons-nous le droit d’en conclure, nous autres Occidentaux ? Si nous analysons nos propres sentimens, nous trouverons que don Juan, don Quichotte, Roland, Renaud, Falstaff, et tant d’autres créations de l’imagination humaine, vivent autant et plus dans notre esprit et nos discours que César, Alexandre, Napoléon. Cet ordre d’idées, cultivé de préférence par des imaginations avides du merveilleux, a peut-être été la principale cause, pour le dire en passant, de l’absence presque totale d’historiens dans l’Inde proprement dite. Les écrivains indiens ont négligé l’histoire véritable, rationnelle, exacte en un mot, pour s’adonner de préférence à la poésie épique et au roman.

Les mahométans établis depuis longtemps dans l’Inde gangétique ou dans le Dăkkăn partagent les convictions des Hindous sur l’existence et l’intervention des esprits, des génies, sur l’efficacité des pèlerinages, sur la puissance surnaturelle que de saints personnages ont acquise par des actes de dévotion et de méditation, par la pénitence et par la prière. Les races auxquelles appartenaient les conquérans ou les usurpateurs qui ont exercé une influence si remarquable sur les destinées de l’Hindoustan avaient conservé les traditions de leurs ancêtres sur la nature mystérieuse des astres, sur le culte dû à ces sources éternelles de feu, de lumière, de vie. La conversion des Moghols et des Tourks à l’islamisme n’avait pu avoir pour résultat de détourner leur imagination de ces sublimes rêveries. Ils retrouvaient d’ailleurs dans l’Hindoustan des croyances semblables aux leurs sur les rapports intimes qui liaient la destinée de l’homme aux mouvemens et aux qualités occultes des planètes et des étoiles. « Les sages, dit le Dabistân[1], croient que chaque grand prophète était voué à un astre particulier : Moïse à Saturne par exemple, Jésus au Soleil, Mahomet à Vénus. — Tchenguiz-Khân (Gengiskan) adorait les astres, et plusieurs circonstances merveilleuses s’observaient dans sa personne. Il faut placer en première ligne la crise extatique connue sous le nom de washt, pendant laquelle certains esprits des étoiles s’unissaient à lui. » L’auteur du Dabistân dit encore de l’empereur Akbăr : « Il a vénéré méditativement l’image du seigneur des feux ou lumières (le soleil), jusqu’à ce qu’il ait poussé cet exercice de méditation si loin qu’il suffit qu’il couvre ses yeux pour que le grand objet lui soit présent. Alors, quel que soit celui des puissans et illustres personnages de Hind, Irân ou Grèce, ou de tout autre pays, qu’il désire voir, cette personne se présente à sa vue, et il voit des lumières, explore des routes nouvelles sans nombre, et se rend

  1. The Dabistân or School of Manners, translated from the original persian, etc., by David Shea and Anthony Troyer. Paris, 3 vol. in-8o, 1843.