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pour des lois invariables. Néanmoins la guerre a éclaté, une guerre confuse et difficile, engagée en faveur d’un empire qui ne se soutient qu’à force d’héroïsme contre un empire plein de ressources, dans des pays de races diverses, toutes ou à peu près tièdes pour leurs maîtres et sympathiques à l’agresseur ou sans mauvais vouloir envers lui. Elle a éclaté, cette guerre à laquelle personne ne voulait croire et dont personne ne voulait ; en dépit de la prépondérance des intérêts matériels, elle a passé au travers des mailles subtiles des protocoles diplomatiques ; elle a éclaté pour nous apprendre que définitivement nous sommes gouvernés par les mêmes lois que nos pères, et que nous devons nous résigner à vivre et à mourir en vertu des mêmes lois qui les ont fait vivre et mourir. La cause de cette guerre est également un mobile qu’on n’aurait pas cru de notre temps, l’esprit d’envahissement, mais qui existe et qui existera jusqu’à ce que l’Europe ait retrouvé son unité perdue, ou pour mieux dire jusqu’à ce qu’elle ait trouvé son unité nouvelle. C’est là un fait du plus haut intérêt et qui mérite bien quelques développemens.


I.

Qu’est-ce que cet esprit d’envahissement ? — C’est l’aspiration à la domination universelle. — Ce désir, qui semble le rêve d’un fou, a été pourtant le mobile déterminant de tous les actes de quelques-uns des souverains les plus remarquables, les moins enthousiastes du monde moderne, le mobile du sagace Charles-Quint comme du fanatique Philippe II, du magnifique Louis XIV comme du pratique Pierre Ier. Que cet esprit soit bon ou mauvais en lui-même, il faut donc avouer que, puisqu’il a exercé une si forte influence sur les desseins et les actes de tant de grands personnages, il est autre chose encore qu’un esprit de convoitise ou qu’un rêve insensé. Pour trouver son origine, il faut remonter au XVIe siècle, à l’époque de la grande scission qui a divisé l’Europe en deux camps et rendu nécessaire l’existence d’un équilibre européen. À partir de cette époque, la passion de l’unité est devenue la passion dominante de tous les hommes zélés pour l’autorité. Le catholicisme, en se brisant contre la réforme, a enfanté une sorte de catholicisme politique qui a été la monarchie absolue, catholicisme qui jusqu’à présent n’a jamais trouvé son pape, mais qui l’a toujours obstinément cherché. Génération après génération, toute une série de grands hommes, Charles-Quint, Philippe II, Ferdinand II, Louis XIV, se passent l’un après l’autre, comme les coureurs de Lucrèce, cette idée désastreuse à notre sens. Pour savoir de quel système sort cette idée, il suffit de nommer les personnages qui ont voulu l’appliquer et les pays où ils ont régné.