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impiété, et c’est en outre un non-sens politique. À quel propos et de quel droit voudrait-on imposer aux peuples une même domination ? Sur quel droit peut-on s’appuyer pour démontrer que toutes les nations doivent se courber devant un même pouvoir, qui non-seulement n’est pas de leur choix, mais qui n’est pas de leur race et de leur croyance ? Selon la religion chrétienne, il y a un maître pour tous les hommes, et il n’y en a qu’un : Dieu, — et c’est parce qu’elles reconnaissent toutes le même Dieu que les nations chrétiennes ne sont point étrangères les unes aux autres, ni instinctivement ennemies les unes des autres, qu’elles ont formé au moyen âge et qu’elles peuvent former encore une même grande confédération. C’est là, dans cette idée d’une confédération universelle des peuples, et non pas dans l’idée de la monarchie universelle, qu’est contenue la solution de cette grande question de l’unité du monde. Toutes les différences de gouvernement, de culte, de civilisation, peuvent être acceptées sans que pour cela l’unité morale soit en danger. Que sont en effet toutes ces différences, sinon de purs accidens de forme, résultat ici du développement original, et nous dirions volontiers de l’allure qu’a prise la civilisation dans tel ou tel pays, là d’une influence naturelle des objets physiques sur l’homme, ailleurs du tempérament de telle ou telle race, plus loin de souvenirs et de traditions contre lesquels est venue se briser la toute-puissance du temps ? Pures choses de hasard, purs accidens que la mer de la vie a apportés avec son flux chez tel ou tel peuple, et qu’elle a oublié de remporter dans son reflux ! Et cependant ce sont tous ces accidens extérieurs, ce sont toutes ces différences de forme qui donnent à la vie des peuples sa beauté et son charme, qui arrêtent l’œil du contemplateur, qui enflamment l’imagination du poète, qui enfantent les diverses littératures et les diverses écoles d’art ; c’est grâce à elles que ce monde vaut à peine d’être habité et que l’existence a tout son prix.

Au fond d’ailleurs, en quoi ces différences détruisent-elles l’unité ? L’unité est-elle une chose spirituelle, morale, intangible, infinie de son essence et inaccessible à l’analyse ? ou bien est-elle une chose tangible qui se pèse et se mesure ? Est-elle une des conditions nécessaires de l’humanité ? ou bien n’est-elle que le produit d’un système et le résultat d’une volonté énergique ? Si la première de ces deux hypothèses est la vraie, qu’est-ce donc que l’idée de la monarchie universelle, sinon une impiété religieuse et un non-sens politique ? pour que l’unité existe dans l’humanité, il n’est pas nécessaire que tous les hommes soient liés par les mêmes chaînes matérielles, qu’ils soient garrottés dans les mêmes formes extérieures ; il suffit qu’ils s’accordent sur les quelques choses essentielles et sur les quelques faits éternels qui sont les bases inaccessibles à tout