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III.

Ce système de la monarchie universelle, qui a été tenté si souvent, n’a jamais pu réussir à s’établir même un seul jour, et nous ne pouvons savoir en conséquence les résultats qu’il eût produits. Cependant nous pouvons logiquement imaginer les suites qu’aurait eues le succès de chacune de ces tentatives ; elles eussent été presque toujours absurdes. Si Charles-Quint eût réussi complètement, nous aurions eu une contrefaçon de l’Europe du moyen âge : un pape et un empereur ; mais dans cette résurrection impossible, le pape aurait été nécessairement inférieur à l’empereur. Le ministère de la parole divine eût été dominé par le ministère de la force temporelle. Ces deux puissances, qui s’étaient à peu près balancées au moyen âge, auraient été nécessairement inégales, et peut-être aurions-nous eu en Europe le système inauguré en Russie par Pierre le Grand, la prise de possession violente et arbitraire de l’administration spirituelle par l’administration laïque. Si l’Espagne à son tour avait triomphé sous Philippe II, nous aurions eu le règne de la théocratie ; le pouvoir d’une caste ecclésiastique aurait dominé même la royauté ; l’Europe eût été gouvernée par un concile permanent qui aurait étendu aux choses politiques l’infaillibilité qu’il se serait attribuée dans les choses spirituelles. Mais un tel système, qui eût dépassé le moyen âge, comment aurait-il pu prendre racine au XVIe siècle ? pour établir un tel système, il aurait fallu vaincre non-seulement la réforme, mais encore la renaissance. La science toujours croissante des laïques aurait suffi pour empêcher le succès d’un tel régime, comme la simple invention de l’artillerie aurait suffi pour empêcher le rétablissement des deux pouvoirs du moyen âge. En Allemagne et en Espagne, on tenta donc non-seulement des choses insensées, mais encore (les choses insensées réussissent parfois) des choses impossibles. Si la France à son tour, ayant Louis XIV à sa tête, avait réussi à établir sa domination sur l’Europe, que serait-il arrivé ? N’ayons point de faux patriotisme et voyons les choses telles qu’elles sont. Nous aurions eu le règne de la superstition monarchique, une sorte de religion semi-espagnole, semi-française de l’autorité, le triomphe des formes et des convenances sociales et le despotisme de la vanité. Telles sont quelques-unes des conséquences que n’aurait pas manqué de produire le succès de chacune de ces tentatives.

Mais ces tentatives étaient condamnées d’avance. Un juste châtiment n’a jamais manqué d’atteindre ces accès d’orgueil. La prostration morale ou une démence furieuse s’est emparée des pays où régna cette idée et des peuples qui ont voulu l’imposer. Ils y ont perdu les