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anomalies et ces énigmes historiques si difficiles à déchiffrer au bout de deux cents ans. Et la littérature de ce grand peuple, est-elle assez abondante, assez riche, assez passionnée ! Et cependant qu’est-ce qu’on en accepte et qu’est-ce qu’on en veut accepter ? Toutes ces œuvres singulièrement naïves et fortes, expression franche, sincère, ardente, de la foi et de la vie du peuple espagnol, sont, comme l’héroïsme de ses grands hommes et les vertus de ses saints, privées d’un principe fécondant. Ce sont des œuvres espagnoles et non humaines, catholiques (dans le sens contraire d’universel toutefois) et non chrétiennes. Un seul livre surnage dans toute cette littérature, le Don Quichotte, le seul livre universel, humain, que l’Espagne ait produit. — Et cela est bien heureux, me disait un jour tristement un Espagnol, car si nous n’avions pas ce livre, l’Espagne n’aurait aucune voix pour s’exprimer devant l’Europe, elle n’aurait aucun témoignage de son génie et de son ancienne grandeur.

Si après l’Espagne nous considérons la France du XVIIe siècle, nous verrons bien en effet que le génie français s’éleva à cette époque à son plus haut point de perfection ; mais nous doutons que l’ambition de Louis XIV ait eu aucune influence sur le développement de ce génie. N’a-t-elle pas été punie d’ailleurs, cette ambition ? Il est remarquable que le pays dans lequel la monarchie a été presque une religion politique soit devenu le pays régicide par excellence. Ce peuple ami de la royauté est devenu le peuple sans-culotte et jacobin que nous avons connu. Ainsi l’ambition de la royauté a tué la royauté elle-même, et les adulations dont nos pères l’enivrèrent se changèrent, avant même la mort du grand roi, en murmures, qui à leur tour ne tardèrent pas à se changer en menaces, en insultes et en défis. Je suis de ceux qui considèrent le XVIIIe siècle comme n’étant autre chose qu’une réaction fatale contre les superstitions sur lesquelles Louis XIV voulut trop appuyer son pouvoir. Malgré tous les revers du grand roi, l’Europe laissa la France intacte ; et comme si la Providence eût voulu séparer la cause du peuple français de celle de son souverain, la France conserva les conquêtes de Louis XIV, mais se chargea de fournir des vengeurs à l’Europe : les encyclopédistes furent les hommes qui vengèrent les dangers que la monarchie française avait fait courir à l’équilibre des états et les terreurs qu’elle avait inspirées au continent.


IV.

Cependant cette pensée d’orgueil, toujours fatale aux peuples et toujours suivie d’un prompt châtiment, n’a pas disparu du monde. Deux nations colossales, faibles encore, mais faibles seulement parce