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le monde a pu entendre : « À ton tour, Turquie, tu paieras l’impôt de la capitation, et tu achèteras le droit de vivre ! À ton tour, Allemagne, tu subiras le sort de la Pologne ! À ton tour, l’Europe, tu recevras d’étrangers et d’ennemis la tyrannie que tu n’as pas voulu accepter de tes princes nationaux, et l’Orient t’imposera le système que tes propres despotes n’ont pu faire triompher ! »


V.

Je m’arrête à regret. Cette question de la monarchie universelle demanderait, pour être examinée dans tous ses détails, un de ces énormes traités politiques dont le XVIe siècle se montra si prodigue dans ses controverses ; mais si la pensée de la domination est de toutes les époques, en revanche les in-folios ne sont guère de notre temps. J’ai voulu tout simplement faire l’historique de cette idée, en montrer tous les dangers, non-seulement pour les peuples qu’elle menace, mais pour les peuples qui l’adoptent et essaient de la faire triompher. J’ai voulu montrer la Russie reprenant à son tour cette idée fatale, et la reprenant dans les conditions les plus redoutables pour l’Europe. Dès la nouvelle apparition de cette chimère qui a fait couler tant de sang et qui a exténué tant de peuples, l’Europe s’est émue, et les nations se sont serrées l’une contre l’autre par un même sentiment de péril et un même mouvement de crainte. La Russie sera certainement repoussée, elle rentrera pour un temps dans ses steppes. Prudente et patiente comme elle l’est, elle reculera sans honte et consentira à reculer pour attendre en sûreté le moment de tomber de nouveau sur sa proie ; mais que la Russie recule et consente à reculer, là n’est pas la question : il faut des garanties pour l’avenir, ainsi que disent les orateurs du parlement anglais ; oui, des garanties non-seulement matérielles, mais morales.

Les précautions morales que l’on peut prendre contre la Russie sont nombreuses ; nous en signalerons quelques-unes seulement, en laissant au lecteur le soin de suppléer à ce que nous ne dirons pas. Ce n’est pas la Russie qui a inventé la première cet esprit d’envahissement à outrance qui la caractérise, ni ce rêve de monarchie universelle qu’elle a repris à son tour, ni cette utopie de l’unité par le pouvoir politique qu’elle célèbre et préconise. Tout cela est parti d’ailleurs et de bien des points divers. Tous les peuples ont été coupables tour à tour de ces chimères impies qui ont engendré des réalités sanglantes, et est-il bien sûr que l’Europe en soit guérie ? Il ne manque pas de gens d’une orthodoxie trop ardente qui sont tout prêts à regretter l’insuccès de Philippe II, ou de gens d’un patriotisme trop opiniâtre qui sont tout disposés à regretter l’insuccès de Louis XIV. On pourrait trouver des prôneurs d’autorité à tout prix