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Comment en 1794 la victoire de Fleurus devient-elle possible ? C’est parce que Jourdan, au risque de sa tête, refuse obstinément de scinder son armée. S’il eût obéi à un ordre de Saint-Just, la victoire eût été sans doute une défaite. Voilà comment tous ces grands politiques révolutionnaires aidaient nos soldats à vaincre. La vérité est au contraire que les chefs de nos armées n’avaient pas seulement à marcher sur l’ennemi, ils avaient à se débattre contre la présomptueuse ignorance de quelques tribuns qui croyaient avoir tout fait quand ils avaient appuyé d’une menace de mort des ordres souvent contradictoires. C’est en tournant le dos aux factions, c’est en faisant de leurs camps le refuge du patriotisme français que nos armées ont trouvé le courage de la victoire. Les Mémoires du maréchal Soult n’offrent pas moins d’intérêt, quelque peu personnels qu’ils soient, quand ils arrivent à des temps moins sombres, à la seconde guerre d’Italie, à la défense de Gènes, et nul n’avait plus de titres pour raconter cet héroïque fait d’armes que l’intrépide lieutenant de Masséna à l’armée de Ligurie ; mais ici les Mémoires du maréchal Soult se mêlent au récit de M. le duc de Valmy sur la campagne de Marengo, ils rejoignent la Correspondance du roi Joseph, avec laquelle ils auront sans doute à se retrouver sur un autre terrain, en Espagne par exemple. Le mérite de ces divers ouvrages, c’est de montrer dans l’époque consulaire et impériale l’origine éclatante, le début magnifique, avant la décadence que les lettres du frère de l’empereur viennent peindre en même temps aujourd’hui dans ce qu’elle a de plus tragique. Ainsi apparaissent à la fois les deux faces opposées de ce règne gigantesque.

Il n’est point de contraste plus saisissant, quand on se laisse aller à l’intérêt de cette Correspondance du roi Joseph, et quand on en ressaisit l’ensemble. Voyez à l’origine : la jeunesse semble jeter un lustre immortel sur ces commencemens d’une grande fortune. Tout est bonheur, tout réussit. Cette bataille même de Marengo, sur laquelle le récit de M. de Valmy jette des lumières nouvelles, qu’est-elle ? À part la puissante conception du plan de campagne, la bataille elle-même n’est d’abord rien moins qu’un triomphe. Il faut qu’un des lieutenans de Bonaparte arrive à propos, et Desaix arrive pour rétablir le combat. Il faut un coup d’audace pour ressaisir la victoire, et Kellermann, agissant de lui-même, se précipite sur une colonne autrichienne qu’il coupe et qu’il disperse. Dès lors commence à se développer cette pensée immense de domination universelle qui pendant longtemps ne connaît point d’obstacle. Les armées impériales jusqu’en 1810 se répandent sur l’Europe, et vont de Dantzik à Séville. Tournez maintenant la feuille et arrivez aux derniers volumes de la Correspondance de Joseph : le mouvement de retraite a commencé ; ces années conquérantes se replient l’une après l’autre — du nord et du midi. Napoléon a certes toujours des lieutenant fidèles mais il en est souvent à les gourmander et à réveiller leur activité. Dans les victoires même, il y a quelque chose de sombre, au lieu de cet éclat merveilleux de Marengo. Il n’y a pas moins de génie, il y a de moins la jeunesse, le bonheur, et il y a de plus l’impossible, qui est venu rendre inutiles tous ces prodiges. En 1809 et 1810, Napoléon dit : « Mes armées atteindront jusqu’aux colonnes d’Hercule, mon pouvoir ne trouvera point de limites en Espagne ! » Il agite dans sa pensée le démembrement de la Péninsule. En 1813 et 1814, il écrit à son frère : « Vous n’êtes plus roi d’Espagne. Je ne veux pas l’Espagne