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procédés n’étaient pas nouveaux, les subirent sans se plaindre ; mais la colère monta au cœur des fiers Germains. Ils ne purent supporter l’idée d’être traités comme un vil bétail, et le roi des Gépides, Ardaric, courut le premier aux armes. Ardaric avait été pendant longtemps le conseiller le plus intime et le vassal le plus honoré d’Attila. Valémir, qui avait tenu la seconde place dans la confiance du maître, et qui partageait avec ses deux frères, Théodémir et Vidémir, le gouvernement des Ostrogoths, suivit l’exemple d’Ardaric. La plupart des vassaux germains se rangèrent autour des deux plus grands de leurs rois, et l’armée d’Attila se trouva scindée en un double camp : les Germains d’un côté, de l’autre les Huns, les Alains, les Sarmates et quelques peuplades germaines restées fidèles à la mémoire du conquérant.

Les deux partis, après s’être observés quelque temps et recrutés chez les nations voisines, se préparèrent à une lutte suprême dont le résultat devait être la servitude éternelle ou l’affranchissement de la Germanie. Ils choisirent pour se mesurer la grande plaine de Pannonie, située au midi du Danube et à l’ouest de la Drave, et dans cette plaine le terrain que traversait une petite rivière appelée Nétad, dont le nom actuel est inconnu. Il fallait un interprète barbare tel que le Goth Jornandès pour sentir lui-même et faire passer dans les pages d’un livre les passions de ces ravageurs du monde devenus ennemis, et rendre la grandeur de cette lutte à mort qui venait s’étaler aux yeux des Romains et sur le territoire romain comme un combat de gladiateurs. « Qu’on se figure, dit-il, un corps dont la tête a été tranchée, et dont les membres, n’obéissant plus à une direction commune, se livrent ensemble une folle guerre : ainsi vit-on s’entredéchirer de valeureuses nations qui ne rencontrèrent jamais leurs égales que lorsqu’elles se tournèrent les unes contre les autres. » Puis, animé d’un enthousiasme presque aussi sauvage que le tableau qu’il va nous peindre, il s’écrie : « Certes ce fut un admirable spectacle de voir le Goth furieux combattant l’épée au poing, le Gépide brisant dans ses blessures les traits qui l’ont percé, le Suève luttant à pied, le Hun décochant ses flèches, l’Alain rangeant en bataille ses masses pesamment armées, l’Hérule lançant sa légère infanterie…[1]. » Il y eut plusieurs combats, tous plus acharnés les uns que les autres, et la fortune semblait favoriser les Huns, quand, changeant de front tout à coup, elle se déclara pour les Gépides. Les Asiatiques laissèrent sur la place quarante mille morts, au nombre

  1. « Nam ibi admirandum reor fuisse spectaculum, ubi cernere erat cunctis, pugnantem Gothum ense furentem, Gepidam in vulnere suorum cuncla tela frangentem, Suevum pede, Hunnum sagitta præsumere, Alanum gravi, Herulum levi armatura aciem instruere. » (Ubi supr.)