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l’Hémus fût pour ainsi dire fermé au nord par une forteresse sur le Danube. Transmarica (Tourtoukai), Sexaginta-Prista (Roustchouk), Noves (Sistova), Nicopolis, Ratiaria, qui renfermait une division de la flotte danubienne et une fabrique d’armes, et d’autres villes encore durent leur origine aux combinaisons de ce système de défense. La presqu’île comprise entre le Danube et la Mer-Noire, appelée alors province de Petite-Scythie et actuellement Dobrutcha, était garnie à son pourtour de forteresses nombreuses, et coupée au midi par un rempart qui subsiste encore et porte le nom de Trajan. Telles avaient été les provinces danubiennes avant l’irruption des Goths en 375, et celle des Huns, qui se prolongea presque sans interruption pendant tout le règne d’Attila. Attila fut le grand destructeur de ces contrées, où son nom, tristement populaire, fut longtemps attaché à toutes les ruines, comme celui de Trajan à toutes les fondations. Justinien mit sa gloire à réparer les désastres d’un pays qui était le sien ; mais au moment où commencent nos récits, les villes de l’intérieur n’étaient pour la plupart que des monceaux de décombres, et les places du Danube, presque toutes démantelées, n’opposaient qu’une barrière impuissante au passage des barbares.

Après la sanglante bataille du Nétad, les vainqueurs se trouvèrent presque aussi embarrassés que les vaincus : ils ne surent plus que devenir. Les femmes, les enfans, les vieillards, les troupeaux avaient suivi les guerriers germains en Pannonie ; c’étaient des nations entières qui attendaient dans leurs enceintes de chariots le dernier mot de la fortune. Elles n’avaient plus de patrie : iraient-elles, à grand surcroît de fatigues et de dangers, reprendre les terres qu’elles avaient quittées et que d’autres peut-être occupaient maintenant ? Il leur parut plus sage de rester où elles étaient. Les Gépides avaient jeté leur dévolu sur la grande plaine des Carpathes, l’ancienne Dacie de Trajan et la Hunnie d’Attila, et personne ne s’avisa de leur disputer un droit de préférence qu’ils méritaient si bien. Les Ostrogoths, trouvant la Pannonie à leur convenance, s’en emparèrent depuis Sirmium jusqu’à Vienne, et donnèrent pour limites à leurs possessions la Mésie supérieure, la Dalmatie et le Norique. Comme ils formaient trois groupes de tribus sous trois rois, ils divisèrent le pays en trois parts : Théodémir s’établit le plus à l’ouest, au-dessous de Vienne et dans les environs du lac Pelsod[1], aujourd’hui Neusiedel ; Valémir reçut la partie orientale délimitée par la Save, que les Goths, à cause de sa profondeur et de la teinte foncée de son lit, avaient

  1. Les géographes ne s’accordent pas sur la position du lac Pelsod ; les uns le confondent avec le lac Balaton, les autres le retrouvent dans le lac actuel de Nausledel. J’ai suivi cette dernière opinion, qui concordent mieux avec le texte de Jornandès.