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tenus prudemment dans leurs murs, et qui maintenant criaient à la trahison. On parlait de s’ensevelir sous les ruines de Milan. « Eh ! que m’importe à moi, disait Charles-Albert en déchirant la capitulation déjà signée, que m’importe de mourir un jour ou l’autre ? » L’impossibilité de toute résistance n’en demeurait pas moins le fait accablant ; la masse de la population sensée, en s’en affligeant, le reconnaissait ; l’archevêque, le podestat avec quelques-uns de ses assesseurs, allaient d’eux-mêmes demander au maréchal Radetzky le maintien de la capitulation avec la condition d’un délai de vingt-quatre heures accordé à ceux qui voudraient quitter Milan. À peine ce bruit s’était-il répandu, l’émeute rugissait de nouveau autour du palais Greppi, où Charles-Albert était sans défense, ayant laissé ses soldats hors de la ville pour n’accepter d’autre garde que celle de quelques miliciens. C’était toute la démagogie milanaise faisant le siège de la royauté. Quelques-uns de ces agitateurs pénétraient dans un jardin qui touchait à la chambre du roi, épiaient ses mouvemens, et préparaient une escalade générale. Des coups de feu étaient tirés contre les fenêtres du palais. Le duc de Gênes, accouru au secours de son père, avait à subir les outrages de cette populace. Les serviteurs du roi avaient de la peine à échapper au poignard ; ses équipages étaient saccagés et pillés sous prétexte de barricades. Il y avait certes à côté des exemples de dévouement. Un sergent piémontais, blessé et malade à l’hôpital, se traînait jusqu’au palais Greppi, et, appuyé sur une colonne, il repoussait les assaillans, opposant à leurs cris de mort le cri de viva Carlo-Alberto ! Les émeutiers avaient fini par faire arriver un baril de poudre pour forcer par l’explosion la porte du palais. Heureusement, la nuit venant, le général La Marmora parvenait à s’échapper furtivement, et il allait chercher une compagnie de bersaglieri et un bataillon de Piémont ; l’éclair de la baïonnette de ces braves suffisait à disperser les démagogues milanais. À minuit, Charles-Albert quittait le palais Greppi et gagnait à pied les remparts, où ses troupes l’attendaient frémissant d’indignation et demandant à voir leur roi.

Dès lors l’armée piémontaise poursuivait sa retraite et regagnait le Tessin, d’où elle était partie il y avait plus de quatre mois, le 29 mars ; mais quelle différence avec ces premières journées de la campagne ! L’armée sarde revenait épuisée, démoralisée et à demi débandée. Dans certains corps de deux mille quatre cents hommes, il ne restait plus que six cents hommes, et ce reste d’armée ne voulait plus entendre parler de se battre pour la Lombardie. Les troupes se retiraient ulcérées des scènes de Milan ; elles nourrissaient un ressentiment profond contre cette démagogie italienne qui, au moment où elles affrontaient le feu ennemi, avait imaginé, un jour de dire que