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point jusqu’au moment où Thraséric monta sur le trône ; mais alors elle fit place à une haine déclarée. Mundo, fier et passionné, ne supporta pas longtemps les persécutions dont il était l’objet. Un jour il brisa son lien de vasselage, passa le Danube avec quelques braves compagnons, et alla chercher asile sur les terres romaines. Pour vivre il se fit voleur, enlevant les troupeaux qui pâturaient dans les vallées de l’Hémus, pillant les villages et détroussant les voyageurs sur les chemins. Ce métier-là, il faut le dire, n’avait rien d’extraordinaire ni presque de honteux dans ce pays et ce temps misérables, où l’incertitude de la vie avait atteint sa dernière limite, et où le dépouillé du jour devenait malgré lui, par une conséquence fatale de sa ruine, le spoliateur du lendemain. Mundo ne se trouva donc pas seul à le pratiquer. Outre ces Goths dont j’ai parlé plus haut et qui infestaient surtout la Mésie supérieure, il y avait tout le long des Alpes Pannoniennes et Noriques des bandes organisées pour le pillage et composées de gens de toute race, provinciaux et barbares, Goths, Gépides et Romains ; c’étaient la misère, l’oisiveté et le désordre qui les recrutaient. Assez nombreuses pour former comme un petit peuple, elles portaient vulgairement la dénomination de Scamari, d’un mot illyrien qui paraît avoir signifié brigands[1]. Les Scamares, émerveillés de la hardiesse des expéditions de Mundo, lui proposèrent de se mettre à leur tête, et le brigandage prit dès lors les proportions d’une véritable guerre.

Un coup de main heureux les ayant rendus maîtres de la tour d’Herta, forteresse qui dominait le haut Danube, leur ambition n’eut plus de bornes ; ils élevèrent Mundo sur le pavois et le proclamèrent roi des Scamares. Toute la contrée s’émut à cet excès d’impudence. L’empire romain et le royaume des Gépides, également intéressés à la répression des désordres, envoyèrent des troupes chacun de leur côté ; les Gépides, plus voisins, arrivèrent les premiers, et mirent le siège devant Herta. Serré de près par les armes et bientôt par la famine, Mundo désespérait presque de lui-même et songeait à se rendre, quand un incident le sauva. Les Ostrogoths étaient alors en querelle avec les Gépides pour la possession de leurs anciens cantonnemens du Danube, qu’ils avaient laissés vacans lors de leur départ pour l’Italie, et dont ceux-ci s’étaient emparés. Après avoir réclamé vainement ce qu’il appelait le patrimoine des Goths, Théodoric venait d’envoyer sur la Save une armée chargée de rejeter les usurpateurs au-delà du Danube. Informé de cette circonstance, Mundo en tire

  1. « Nam hic Mundo… Gepidarum gentem fugiens ultra Danubiumin incultis locis sine ullis terræ cultoribus debacchatur : plerisque abactoribus, Scamarisque et latronibus undècumque collectis… » (Jornand., R. Get. 19.) Ce même mot de Scamar se trouve dans la Vie de saint Séverin pour désigner les mêmes bandes de brigands qui infestaient le Norique. « Latrones quos valgus Scamaros appellabat. » (Cap. 7.)