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pays divers, chacun avec son langage et ses familles, et qui formèrent des nations[1]. » Ces paroles du livre saint, encore plus vraies pour l’avenir que pour le passé, la philologie les a pleinement confirmées. N’a-t-elle pas mis en parfaite lumière le lien qui unit entre eux tous les idiomes anciens et modernes parlés par les peuples des trois rameaux de la race aryenne ?

Ces affinités n’existent pas seulement dans le langage. Quand on commença à étudier la littérature sanscrite, on retrouva entre le génie de ces nations asiatiques et celui des peuples de l’Occident des rapports non moins frappans. Chez les Aryens de l’Inde, on remarqua cette tendance à réfléchir et à rêver qui produit la philosophie et la poésie, cette vivacité d’imagination qui est propre aux peuples japhétiques. Comme les plus célèbres nations de l’ancien monde, ils avaient eu l’honneur d’implanter une civilisation au milieu de tribus barbares, d’imposer leur langue aux vaincus. Autant que les Grecs, ils eurent le sentiment de leur supériorité intellectuelle ; fiers de leur race, comme les Romains, ils étendirent leur domination jusqu’aux limites du monde qu’ils connaissaient. Par malheur, aucun élément nouveau, aucune idée régénératrice ne vint retremper les Hindous séparés des grandes nations qui accomplissaient à leur tour de brillantes destinées. Énervés par un long séjour dans des climats trop favorisés du ciel et mêlés par la suite des temps aux races indigènes, ils ne surent point résister aux attaques fougueuses de l’islamisme. Il y a huit siècles déjà que l’ère de la décadence a commencé pour eux, mais ils ont conservé avec un soin jaloux leurs traditions religieuses. Au moment où, sous l’influence d’une conquête de plus en plus complète et sous l’empire des idées nouvelles qui pénètrent à leur insu les plus vieilles nations de l’ancien monde, ces traditions couraient le risque de se perdre, l’Europe elle-même, représentée par quelques savans anglais dont les noms ne périront pas, — William Jones, Colebrooke, Wilkins et d’autres, — Prit sous sa protection les monumens les plus vénérés de la littérature sanscrite, et les brahmanes, dépositaires des textes anciens, consentirent à initier aux secrets de leur idiome sacré ces Européens dont le caractère honorable et l’ardeur pour l’étude leur inspiraient une entière confiance.

L’effet que produisirent sur ces esprits d’élite les premiers pas qu’ils firent dans le vaste domaine des études indiennes est surtout visible dans les brillans discours de sir William Jones et les profondes recherches de Colebrooke sur la philosophie des Indiens. Ces deux hommes éminens eurent le pressentiment des grandes

  1. Genèse, chap. 10, verset 5, traduct. de MM. Glaire et Franck.