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sous l’œil du sage. À la demande que lui firent les dieux, celui-ci répondit : « Je vais faire ce qui vous est utile à l’instant même. » Et il abandonna son propre corps. Alors les immortels prirent les os du sage expirant, et, le visage joyeux, ils les donnèrent à Tvachtri en disant : « Polis cela ! » L’artisan divin se mit à l’œuvre ; avec les os du sage il fabriqua la foudre, puis la remit à Indra en disant à son tour : « Avec cette foudre, ô Indra ! réduis en cendres aujourd’hui même ce terrible ennemi des dieux !… »

N’y a-t-il pas autant de grandeur que de simplicité dans ce début ? Les Grecs, qui prêtaient à leurs dieux toutes les faiblesses de l’humanité, afin de se les mieux pardonner à eux-mêmes, les Grecs voluptueux, amis du beau, du bien-être, de tout ce qui flatte l’esprit et les sens, n’auraient jamais inventé le vieux solitaire sacrifiant sa vie pour le salut des dieux et des hommes. Le sage Dadhitchi est plus qu’un stoïcien ; il y a en lui quelque chose qui va presque jusqu’à l’abnégation chrétienne. La mythologie ainsi entendue s’élève jusqu’à la philosophie la plus haute. Le génie indien n’a-t-il pas compris, et la légende ne dit-elle pas clairement qu’il y a dans les saints une vertu qui peut seule dompter les démons ? L’homme déchu, quand il est purifié de ses fautes, quand il a renié la corruption, sort volontiers et sans regret de son enveloppe mortelle et s’envole vers Dieu. La suite de l’épisode présente des beautés d’un autre ordre, et nous la donnons en entier.


« Donc, armé de la foudre, bien soutenu par les déités puissantes, il (Indra) attaqua Vritra qui se tenait dans le ciel en l’enveloppant, Vritra que les fils de Kali, avec leurs grands corps, protégeaient de toutes parts avec leurs armes levées et pareilles à des montagnes aux pics aigus. — Alors les Dévas soutinrent contre les Dânavaa (Titans), pendant quelque temps, un combat immense et qui épouvantait le monde. — Les glaives que les bras des héros tenaient levés et qui s’entrechoquaient faisaient un grand bruit, et aussi résonnaient en tombant avec force sur les corps, — et les têtes qui tombaient du haut du ciel jonchaient le sol de la terre, qui semblait couverte de feuilles de palmier arrachées à leurs tiges ! — Avec leurs armures d’or, ces fils de Kali, tenant en main des massues, se répandaient en torrens sur les Dévas, comme les arbres d’une forêt en feu. — De ces Titans qui couraient si rapidement, les dieux ne purent supporter le choc, plus impétueux qu’on ne saurait l’imaginer, et mis en déroute, ils s’enfuyaient d’épouvante.

« Or, les voyant fuir effrayés par centaines de mille, et comme Vritra grandissait toujours, Indra fut pris d’une grande faiblesse ; — la peur du noir démon lui causait tant de frayeur, qu’il tremblait, le dieu Indra, et il alla au plus vite vers le seigneur Nârâyana[1], son refuge ; — et, ayant vu Indra pris de faiblesse, Vichnou, qui est impérissable, le pénétra de sa propre splendeur, augmentant ainsi la force du Déva. — Quand ils virent qu’Indra était

  1. Vichnou, considéré comme le dieu existant avant toute chose.