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que leur prête le peuple. On les laissera trôner dans l’Olympe, mais on prendra en main leurs attributs pour les examiner d’un œil curieux, comme on décroche l’armure rouillée d’un héros couché dans la tombe. Il se rencontre aussi des prières adressées à des personnages mal définis, dieux nouvellement consacrés par l’apothéose, dont les commentateurs hésitent à fixer le caractère véritable. L’idée religieuse ne fait point encore défaut, seulement elle s’éparpille sur une foule d’objets, et le poète y associe d’autres pensées purement humaines. Ainsi, dans l’hymne à la Parole (la parole sainte), il est dit :


« Comme l’orge se purifie dans le crible, la Parole se forme dans l’âme des sages. C’est là l’épreuve des vrais amis, car toute leur valeur est dans la sainte Parole… »


S’agit-il de la parole révélée ou de la sincérité humaine ? Rien ne l’indique dans les onze stances de cet hymne travaillé avec un soin particulier, et qui continue sur le même ton d’ambiguïté. Le fonds de la pensée, c’est que la Parole a une origine divine, que l’homme ne doit jamais la profaner par le mensonge. Malheureusement ici l’idée abstraite disparaît trop brusquement devant un détail de la vie réelle. En s’adressant aux plantes, un autre poète dira :


« O mères ! capables de cent œuvres, vous comptez cent espèces, vous comptez mille tiges, préservez-moi de la maladie ! — Réjouissez-vous, ô plantes couvertes de fleurs et de fruits ; telles que les cavales victorieuses, emportez-nous loin des maladies ! »


Celui qui parle ainsi doit être un médecin lyrique ; à peine a-t-il cueilli une plante, qu’il s’agenouille devant elle ; dans son enthousiasme, il va jusqu’à la placer au-dessus de Pouroucha (l’âme universelle) ; puis il en fait un roi victorieux entouré de son armée qui pénètre le corps humain pour livrer bataille à la maladie et remporter la victoire. Son imagination l’entraîne ; il veut revêtir de tous les attributs divins et de toute la gloire terrestre l’objet de son culte. Quoi ! les plantes ont plus de puissance que la vie qui nous vient d’en haut ! Cette croyance est moins de la foi que du fétichisme, et le goût, on en conviendra, souffre tout le premier de cet affaiblissement de la pensée. Ailleurs ce sont des espèces d’épithalames en l’honneur des dieux ; Agni, qui est qualifié de pontife, épouse la Coupe du sacrifice que la Libation (Soma) lui amène par la main. Voilà la fable qui entre de plain-pied dans le domaine de cette religion primitive, où les forces de la nature gardaient encore la grandeur qui sied aux manifestations de la puissance divine. Enfin les vertus, telles que la Libéralité et la Bienfaisance, inspirent aux chantres du Véda des odes pleines de douces images où le cœur parle un langage presque aussi beau que celui des psaumes :