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conception d’un auteur nécessaire de l’ordre des choses. Le spectacle de l’univers a dû parler le même langage à tous les hommes, et quoique sous cette forme la croyance en Dieu ait pu facilement être altérée par l’imagination et se mélanger d’inventions superstitieuses, on sait que cet argument suffisait pour convaincre Voltaire, qui dans ses bons momens l’a heureusement développé.

Il paraît donc que toutes ces preuves peuvent se ramener à deux, celles que j’ai nommées la première et la cinquième. On peut pour abréger les exprimer ainsi : «L’ordre du monde prouve une cause intelligente. L’idée de Dieu dans l’esprit humain prouve son objet. » Nous n’examinerons pas avec les logiciens si l’un et l’autre de ces théorèmes philosophiques ne supposent pas la validité de l’idée de cause. Nos lecteurs ne sont pas des sceptiques qui aient besoin d’être rassurés sur le compte des idées nécessaires, et nous exposons ici plutôt que nous ne discutons. Telles qu’elles sont, ces deux preuves ont été désignées par les noms d’école de preuve physico-théologique et de preuve métaphysique ou ontologique. On n’ignore pas communément aujourd’hui qu’elles ont été attaquées par la critique de Kant. Cette critique divisait les connaissances humaines en notions expérimentales et en conceptions nécessaires, les unes fort utiles, les autres irrésistibles, mais les unes et les autres dépendantes de notre nature physique et intellectuelle, et ne prouvant qu’une chose : c’est que nous sommes faits pour sentir et pour penser d’une certaine façon. Comme cette objection irait à prouver qu’il n’est pas sûr que les planètes gravitent dans l’espace ni que les rayons du cercle soient égaux, on peut la négliger ou du moins n’en tenir compte que pour déterminer avec une précision plus rigoureuse l’origine et la portée de tous les élémens de nos connaissances. C’est, pour le dire en passant, le plus grand service à tirer de la philosophie de Kant : elle est une pierre de touche philosophique.

Mais l’existence même de cette grande critique est un fait nouveau qui oblige à revoir la théodicée avec toute la philosophie. Ce seul fait rendrait nécessaire de reprendre de nos jours les preuves de l’existence de Dieu. Il ne les anéantit pas, mais il les met en question. Dans les opinions les plus chères à l’esprit humain, une sorte de révision périodique est indispensable, qu’on pourrait comparer familièrement à une vérification des poids et mesures. Ainsi Fénelon n’a pas pressenti les objections de Kant ; M. de La Luzerne, qui écrivait il y a cinquante ans, ne s’attendait guère au panthéisme contemporain. On n’évite en écrivant que les objections déjà faites, on ne se prémunit que contre les conséquences prévues. Il n’y aurait que ce motif pour refaire des traités de théodicée que l’esprit et le talent ne pourraient être mieux employés.