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de mille métaux précieux, et qui rendent des sons ou charmans ou terribles, suivant les proportions diverses des élémens dont ils sont formés. Il est des talens délicats qui ne peuvent facilement se satisfaire ; attentifs à captiver l’esprit, ils s’adressent à lui par tous les moyens dont l’art dispose : ils refont cent fois un morceau, ils sacrifient la touche, l’exécution savante, qui fait ressortir plus ou moins les détails, à l’unité et à la profondeur de l’impression. Tel est Léonard de Vinci, tel est Titien. Il est d’autres talens, comme Tintoret, mieux encore comme Rubens, et je préfère ce dernier parce qu’il va plus avant dans l’expression, qui sont entraînés par une sorte de verve qui est dans le sang et dans la main. La force de certaines touches, sur lesquelles on ne revient point, donne aux ouvrages de ces maîtres une animation et une vigueur auxquelles ne parvient pas toujours une exécution plus circonspecte. Il faut en comparer les effets à ces saillies singulières des orateurs qui, entraînés par leur sujet, par le moment, par l’auditoire, s’élèvent à une hauteur qui les surprend eux-mêmes quand ils sont de sang-froid. On est convenu de donner le nom d’improvisation à ces élans particuliers qui ravissent l’auditeur et l’orateur lui-même. On concevra facilement que dans la peinture, pas plus que dans l’art oratoire, ce genre d’improvisation, si l’on veut l’appeler ainsi, ne produirait que des effets vulgaires, si ces effets n’étaient préparés et couvés, pour ainsi dire à l’avance, par un travail persévérant, soit sur l’art en général, soit sur la matière même qui est l’objet de l’orateur ou du peintre. On prétend assez généralement que les effets de cette espèce ne supportent pas l’examen comme ceux que produisent les ouvrages plus châtiés dans la forme. Les discours de Mirabeau par exemple ne répondent pas, quand on les lit, à l’idée que nous donnent ses contemporains de leur prodigieux éclat à la tribune : en ont-ils moins satisfait à la condition du beau quand il les a prononcés, quand il a ému, entraîné, non pas seulement une assemblée, mais une nation tout entière ? N’est-il pas arrivé au contraire que tel discours très étudié, très senti même dans le silence du cabinet, n’ait rencontré au forum et devant des milliers d’auditeurs qu’une froide approbation ? Tel tableau irréprochable dans l’atelier a-t-il toujours rempli, au grand jour d’une exposition ou placé à la hauteur nécessaire et encadré dans une place spéciale, l’attente de ses admirateurs et du public ?

Il faut voir le beau où l’artiste a voulu le mettre. Ne demandez pas aux vierges de Murillo l’onction chaste, la timide pudeur des vierges de Raphaël : louez dans les traits de leur visage et dans leur attitude l’extase divine, le trouble vainqueur d’une créature mortelle élevée vers des splendeurs inconnues. Si l’un et l’autre de ces