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hommes qu’il a voulu peindre, et ce sont des hommes que Racine et lui ont peints. Que m’importe que Burrhus, que Néron, qu’Agrippine soient pris dans Tacite ? C’est au théâtre, et devant un auditoire qui ne s’inquiète ni de Tacite ni de Plutarque, que je veux les voir avec tous les mouvemens de leurs passions, et mêlés à une action intéressante et poétique qui m’occupe plus que leur histoire réelle.

On a vu au théâtre à plusieurs reprises de bizarres imitations, où on avait suivi pas à pas les grands tragiques ; on s’y inspirait d’une certaine couleur de simplicité primitive qui n’est plus dans nos mœurs et qui nous laissait froids. Des tragédies faites pour des sauvages de l’Amérique ne nous auraient pas surpris davantage. Quand un auteur de mérite a voulu mettre récemment sur la scène des actions tirées de l’Odyssée, il a nui, à mon sens, à des tableaux très intéressans, présentés en beaux vers, par la recherche insolite de mœurs dont nous n’avons pas l’idée. Les porchers du divin Laêrte m’ont étonné plus qu’intéressé ; j’en dirai autant des imprécations d’Ulysse et de Télémaque adressées aux suivantes de Pénélope, et de mille détails de mœurs qui peuvent piquer la curiosité dans une narration originale, mais qui au théâtre détruisent toute action.

Les anciens introduisaient dans leurs pièces des chœurs qui n’étaient autre chose qu’une personnification du peuple venant raisonner sur l’action qu’on représentait. Dans nos idées, c’est le spectateur qui tire lui-même la moralité de ce qu’il voit : il n’a que faire de réflexions qu’il a dû faire lui-même, mais rapidement et sans que ces réflexions soient de nature à le détourner de l’attention qu’il est obligé de donner aux divers événemens de la pièce et aux développemens des caractères. Les Grecs avaient pris l’habitude de ce moyen, qui servait comme de transition et qui faisait pressentir la suite des événemens. En revanche, ils se dispensaient très souvent d’une grande recherche des effets qu’on peut tirer de la contexture même de la pièce et de l’enchaînement logique des scènes, mérite dans lequel les modernes ont excellé.

La mode, qui ballotte les talens à son gré, et qui décide de tout pour un peu de temps, a toujours beaucoup agité cette question du beau ; sa frivole influence croit s’étendre jusqu’à ce qui est immuable. Les images du beau sont dans l’esprit de tous les hommes, et ceux qui naîtront dans des siècles le reconnaîtront aux mêmes signes. Ces signes, la mode ni les livres ne les indiquent point : une belle action, un bel ouvrage répondant à l’instant à une faculté de l’âme, sans doute à la plus noble. On certain degré de culture peut donner au plaisir causé par le beau quelque chose de plus délicat, peut