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ne pensons pas en tirer grand profit ; mais nous l’acceptons néanmoins pour constater nos droits et ne point rester en arrière des autres peuples. C’est ainsi qu’autrefois nous allions aux assemblées[1], non point pour nous divertir, mais par devoir. »


Les observations sur les mœurs russes, venant ainsi se mêler aux considérations philosophiques, firent la fortune des lettres sur le Dilettantisme dans la science. Encouragé par ce premier succès, le jeune écrivain ne tarda pas à faire paraître, sous le titre de Pisma ob izoutchénii prirody (lettres sur l’étude de la nature), une nouvelle série d’essais qui furent également publiés dans un recueil pendant le cours de l’année 1845-46. Reprenant l’histoire du mouvement scientifique depuis le monde grec jusqu’à nos jours, M. Hertzen essaie de démontrer que l’antagonisme de la science et de la philosophie s’efface de plus en plus. Quelques pages sur le contraste du christianisme naissant et les derniers efforts du paganisme peuvent être comptées sans contredit parmi les meilleurs fragmens historiques qu’ait inspirés ce grand sujet. Il est trop aisé malheureusement de reconnaître dans ces études l’esprit de l’école philosophique que l’on a désignée pendant longtemps sous le nom de gauche hégélienne. La nature et l’homme y jouent un rôle important ; le système du docte professeur de l’université de Berlin est interprété dans le sens des disciples qui prétendent non pas seulement continuer, mais réformer l’œuvre du maître. Lorsque, arrivant à Bacon et à Descartes, M. Hertzen rappelle les paroles suivantes de Hegel : « Nous pouvons enfin dire que nous sommes chez nous et crier terre ! » il ajoute : « Nous aussi, nous répéterons ces paroles, mais en leur prêtant un tout autre sens. Pour Hegel, cette époque philosophique est comme une sorte de plage à laquelle la pensée aborde, et où il va commencer à régner. Ce n’est point ainsi que nous

  1. Avant Pierre le Grand, les Russes des classes élevées ne se réunissaient guère que pour les fêtes de famille. Ce prince, ayant cru nécessaire de réformer cet usage, les contraignit de se rendre dans des réunions publiques auxquelles on donna le nom d’assemblées. Il rédigea même à cet effet un règlement dont voici quelques passages. Avant tout, il était bon de définir le terme que l’on venait d’introduire dans la langue. « Ce mot, dit le règlement, ne peut être rendu en russe. Il signifie un certain nombre de personnes qui se réunissent pour parler de leurs affaires ou s’amuser. » Puis viennent les règles à suivre, et celles-ci entre autres : « L’assemblée ne doit pas commencer avant quatre ou cinq heures, ni se prolonger au-delà de dix. On y vient à l’heure que l’on veut ; il suffit d’y paraître. Le maître de la maison n’est pas obligé d’aller au-devant de ses hôtes ni de les reconduire ; il doit seulement faire en sorte qu’ils soient pourvus de chaises, de chandelles et de tout ce qu’il faut pour jouer, qu’ils aient à boire, etc. Chacun peut s’asseoir, se promener, jouer, suivant qu’il lui plaira. Personne ne doit le gêner ni s’offenser de ce qu’il fait, sous peine de vider le grand-aigle (grand gobelet plein de vin ou d’eau-de-vie). Les gentilshommes, officiers, négocians, constructeurs de vaisseaux, employés impériaux, ont le droit d’assister avec leurs femmes et leurs enfans aux assemblées, »