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le sourire, après nous avoir fait passer par les plus poignantes émotions d’un amour de jeunesse. Nous avons indiqué la pensée de l’œuvre ; laissons parler le poète.

I.

Dans ma vie, hélas ! si ténébreuse a brillé jadis une douce image ; maintenant la douce image s’est évanouie, et je suis enveloppé de ténèbres.

Lorsque les enfans sont dans l’obscurité, ils sont inquiets, ils ont peur, et, pour chasser leur angoisse, ils se mettent à chanter à haute voix.

Moi aussi, fol enfant, je chante aujourd’hui dans les ténèbres ; si mon chant ne résonne pas d’une façon harmonieuse, il m’a délivré cependant des angoisses de mon cœur.

II.

Je ne sais ce que veut dire cette tristesse qui m’accable ; il y a un conte des anciens temps dont le souvenir m’obsède sans cesse.

L’air est frais, la nuit tombe, et le Rhin coule en silence ; le sommet de la montagne brille des dernières clartés du couchant.

La plus belle vierge est assise là-haut comme une apparition merveilleuse ; sa parure d’or étincelle ; elle peigne ses cheveux d’or.

Elle peigne ses cheveux d’or avec un peigne d’or, et elle chante une chanson, une chanson dont la mélodie est prestigieuse et terrible !

Le marinier, dans sa petite barque, se sent tout pénétré d’une folle douleur ; il ne voit pas les gouffres et les rochers ; il ne voit que la belle vierge assise sur la montagne.

Je crois que les vagues à la fin engloutissent et le marinier et la barque ; c’est Loreley qui a fait cela avec son chant.

III.

Mon cœur, mon cœur est triste ; le mois de mai cependant brille de son joyeux éclat. Appuyé contre un filleul, je suis là sur la vieille esplanade.

En bas coule, bleue, paisible et silencieuse, la rivière de la ville ; un enfant y glisse sur sa barque et sifflote une chanson.

Au-delà du courant s’élèvent et se mêlent, dans une confusion pittoresque, villas, jardins, et les hommes et les bœufs, et les prairies et la forêt.

De jeunes servantes étendent du linge et courent sur le gazon. Le moulin à eau fait danser dans un rayon de soleil sa poussière de diamans ; son lointain murmure vient jusqu’à moi.