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La petite ressemble à ma bien-aimée, surtout quand elle rit ; elle a les mêmes yeux qui m’ont rendu si misérable.

VII.

Nous étions assis dans la maison du pêcheur et nous regardions la mer. Les brouillards du soir s’élevaient et montaient vers les deux.

Peu à peu on alluma les lumières du phare ; dans le lointain on découvrit encore un navire.

Nous parlions de tempêtes, de naufrages ; nous parlions des marins et de leur vie ballottée entre le ciel et l’eau, de leur vie que se partagent l’inquiétude et la joie.

Nous parlions des côtes lointaines, du sud et du nord, et des hommes bizarres qui habitent ces contrées, et des bizarres mœurs qui y règnent.

Aux bords du Gange, ce ne sont que parfums et clartés ; des arbres gigantesques y fleurissent, et de beaux hommes s’y agenouillent en silence devant la fleur du lotus.

En Laponie, ce sont des gens sales, petits, avec des têtes écrasées et des bouches énormes. Ils se chauffent autour du feu, ils font cuire du poisson, ils se battent et crient.

Les jeunes filles nous écoutaient gravement, et à la fin personne ne parla plus. On ne voyait plus le navire. La nuit était profondément noire.

VIII.

Belle fille du pêcheur, amène ta barque à terre. Viens près de moi, assieds-toi ici, et causons la main dans la main.

Place ta tête chérie sur mon cœur, et ne crains rien, toi qui chaque jour te confies sans inquiétude à la mer sauvage.

Mon cœur est tout semblable à la mer. Il a des vagues, et des récifs, et des tempêtes, et mainte perle précieuse dort dans ses profondeurs.

IX.

La lune s’est levée, et elle illumine les flots. Je tiens ma bien-aimée dans mes bras, et nos cœurs battent ensemble.

Dans les bras de l’aimable enfant, je repose seul sur le rivage. «Que crois-tu entendre dans le mugissement du vent  ? Pourquoi tremble ta blanche main ?

— Ce que j’entends, ce n’est pas le mugissement du vent, c’est le chant des vierges de la mer, le chant des vierges, mes sœurs, que l’Océan naguère a englouties. »