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de la lâcheté. » Ce sentiment fut exploité auprès d’un grand nombre de Grecs, qui pensaient, au lieu d’aller contre la volonté de l’Europe, acquérir des titres à son estime en s’ associant au mouvement. Bientôt la fermentation générale se communiqua aux esprits les plus intelligens et les plus clairvoyans, aux partisans habituels de la France et de l’Angleterre. Ceux-là demeuraient hostiles aux usurpations et aux prétentions de la Russie ; mais ils espéraient toujours pouvoir y résister dans l’avenir avec leurs propres forces et avec l’appui inévitable des nations occidentales. Ils ne se laissaient pas prendre à l’illusion d’un empire byzantin, mais ils espéraient pouvoir agrandir au moins de deux provinces le territoire de la Grèce. Les journaux du parti constitutionnel, l’Espérance, le Panhellenium, le Spectateur de l’Orient, rédigés par les écrivains les plus intelligens et les plus honnêtes du pays, dirigèrent dans ce sens leur polémique, et toute la presse finit par prendre la même couleur. C’est ainsi que, par sa politique d’encouragemens secrets et d’inertie officielle, le gouvernement laissa se former ou plutôt prépara lui-même le courant national par lequel il voulait avoir l’air d’être débordé et emporté[1].

L’insurrection préparée de si longue main éclata enfin en Epire dans les derniers jours de janvier 1854. Ses premiers combattans furent des brigands. Les provinces turques voisines de la Grèce étaient dégarnies de soldats réguliers, l’armée d’Omer-Pacha ayant absorbé toutes les forces organisées de l’empire. Il n’y restait d’autre troupe à la disposition des autorités turques que des irréguliers albanais. Depuis longtemps, la défense des frontières contre le brigandage était établie dans ces provinces sur un système des plus vicieux. Les pachas Turcs affermaient le service de l’ordre public à des chefs arnautes, lesquels, moyennant une somme débattue, se chargeaient de recruter leurs soldats et de maintenir l’ordre : cette singulière milice était désignée sous le nom de dervend. Les chefs du dervend ne se contentaient pas d’enrôler des hommes parmi les Albanais musulmans ; ils prenaient quelquefois à leur service les brigands qu’ils étaient chargés de traquer et d’exterminer. Du reste, le plus clair profit de cette ferme de la force publique résultait pour les detrend-agas de la différence qui existait entre le chiffre nominal des troupes qu’ils étaient tenus d’entretenir d’après les traités et le chiffre réel des hommes qu’ils gardaient à leur solde ; naturellement les momens de troubles étaient la période la plus prospère pour ce commerce barbare. Le dertend-aga d’Arta avait eu à son service un célèbre brigand de la frontière, Demetrachi Scalzoginni : il le renvoya pour

  1. M. Wyse to the earl of Clarendon. Corresp., no 56.