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à rompre en visière à ses anciens maîtres et à se faire l’allié d’un mauvais poète ; les molinistes enfin ou les jésuites acceptant l’alliance avec le théâtre ou avec ses défenseurs : voilà ce qui dans la question appartient à l’histoire du temps. Mais à côté de cela il y a les argumens qui appartiennent au sujet même du débat, les argumens pour le théâtre dans la lettre de Racine, les argumens contre dans Nicole.

En homme habile et qui devine tout l’art de la polémique, dès qu’il s’en mêle, Racine attaque l’austérité de Port-Royal bien plus qu’il ne défend le relâchement du théâtre, et même il ne commence point par justifier le théâtre, mais la poésie en général. « Nous connaissons, dit-il aux docteurs de Port-Royal, l’austérité de votre morale ; nous ne trouvons point étrange que vous damniez les poètes, vous en damnez bien d’autres qu’eux. Ce qui nous surprend, c’est de voir que vous voulez empêcher les hommes de les honorer. Eh ! messieurs, contentez-vous de donner les rangs dans l’autre monde ; ne réglez point les récompenses de celui-ci. Vous l’avez quitté il y a longtemps. Laissez-le juge des choses qui lui appartiennent. Plaignez-le, si vous voulez, d’aimer des bagatelles et d’estimer ceux qui les font ; mais ne leur enviez point de misérables honneurs auxquels vous aves renoncé. » Deux amis de Port-Royal, Dubois, le traducteur des Lettres de saint Augustin, et Barbier d’Aucourt, répondirent à Racine, et celui-ci, se piquant au jeu, fit une seconde lettre plus vive et plus mordante encore que la première, où, prenant les Provinciales pour des scènes de comédie (et il avait bien raison de les prendre ainsi) : « Dites-moi, messieurs, qu’est-ce qui se passe dans les comédies ? On y joue un valet fourbe, un bourgeois avare, un marquis extravagant, et tout ce qu’il y a dans le monde de plus digne de risée. J’avoue que le provincial a mieux choisi ses personnages ; il les a cherchés dans les couvens et dans la Sorbonne ; il introduit sur la scène tantôt des jacobins, tantôt des docteurs et toujours des jésuites. Combien de rôles leur fait-il jouer ! Tantôt il amène un jésuite bonhomme, tantôt un jésuite méchant, et toujours un jésuite ridicule. Le monde en a ri pendant quelque temps, et le plus austère janséniste aurait cru trahir la vérité que de n’en pas rire.» Cette seconde lettre faite, Racine, avant de l’imprimer, alla la lire à Boileau. Celui-ci écouta de grand sang-froid, loua extrêmement le tour et l’esprit de l’ouvrage et finit en disant : « Cela est fort joliment écrit ; mais vous ne songez pas que vous écrivez contre les plus honnêtes gens du monde.» « Cette parole, dit Louis Racine, fit aussitôt rentrer mon père en lui-même, et comme c’était l’homme du monde le plus éloigné de toute ingratitude et le plus pénétré des devoirs de l’honnête homme, les obligations qu’il avait à ces messieurs lui revinrent toutes à l’esprit :