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ressources de la nature humaine, et qui doit être aussi un des arts de la poésie. Je prends dans l’histoire de France le roi le plus malheureux à la fois et le plus honnête, Louis XVI : le fond de son caractère est assurément la débonnaireté, pour parler comme Corneille ; voyez comme en face du péril inévitable cette débonnaireté devient une admirable patience, et en face de l’échafaud un sublime dévouement. Quelle débonnaireté, j’allais dire quelle faiblesse dans le roi ! quelle grandeur dans le martyr ! Voilà comment la nature humaine agrandie et fortifiée par la religion se transforme et se transfigure, faisant de sa faiblesse une force et de son défaut une vertu. Ce que la nature humaine fait dans l’histoire pour l’honneur de l’humanité, c’est à la poésie de le faire dans ses créations pour l’honneur aussi et pour l’enseignement de l’humanité.

La grandeur et l’élévation des caractères, voilà donc, selon Corneille, le point principal dans toutes les créations dramatiques. Cette recherche de la grandeur et de l’élévation ne nuit pas à la morale, et les héros qui sont grands peuvent en même temps être bons et honnêtes, car c’est ici que revient l’observation profonde et juste de Robortel sur l’idéal qui réside au fond de chaque qualité humaine, et qu’il appartient à la poésie de mettre en relief et en honneur. Je résume même la pensée de Robortel en cet axiome : tout ce qui est grand atteint au bon, et tout ce qui est bon atteint au grand. Oui, Achille est violent, emporté, orgueilleux, cruel dans sa colère ; mais il y a dans son âme un fonds de générosité, et quand Priam suppliant vient lui demander le corps d’Hector, Achille pleure et pardonne. Oui, César est ambitieux et fier, il a poursuivi et vaincu Pompée avec joie ; mais il pleure sur le cadavre de Pompée assassiné. Le grand va au bon, et, soyez-en sûrs, cette bonté de l’âme qui se trouve à certains momens dans tous les grands hommes, dans Achille, dans César, dans Alexandre, est le signe caractéristique de leur grandeur, car c’est par là qu’ils témoignent qu’ils sont hommes : sans cela, ils seraient grands comme des colosses de bronze ou de fer. La grandeur, c’est d’être grand avec toutes les émotions humaines ; c’est d’être plus que l’homme, sans être autre que l’homme.

La bonté atteint aisément aussi à la grandeur. Aisément ? j’ai tort. Pour atteindre à la grandeur, la bonté doit passer par la persévérance. Vous êtes bon, Vincent de Paul, puisque dès vos premières années vous venez en aide aux pauvres et aux malades ; mais vous devenez grand, ô saint Vincent de Paul, puisque vous vouez votre vie tout entière à la charité, et que votre nom en devient un touchant symbole. C’est ainsi que, par un perpétuel rapprochement qui est la loi de Dieu, le grand va au bon par la générosité, le bon va