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développement, les institutions, la littérature, les arts, les sciences, le théâtre, tout est mauvais, tout aide à la corruption de l’homme, et chaque fois qu’on pourra détruire une de ces conséquences, soit les arts, soit la littérature, soit le théâtre, ce sera un retour vers l’innocence primitive. Dans cette idée, les petits états sont meilleurs que les grands ; la tribu est meilleure que les petits états, la famille sauvage vaut mieux que la famille civilisée, et l’homme qui ne réfléchit pas vaut mieux que l’homme qui réfléchit, lequel est sur la pente de la civilisation, c’est-à-dire du mal.

La doctrine chrétienne croit que l’homme est disposé au mal par sa nature, qu’a viciée le péché originel, et elle croit aussi qu’il n’y a que le recours à Dieu et à sa loi qui puisse préserver l’homme des effets de sa corruption naturelle ; mais ce recours à Dieu a plusieurs voies. Les docteurs les plus sévères pensent que la meilleure manière de revenir à Dieu, c’est de fuir le monde, c’est d’éviter les occasions du plaisir ou du péché. Des docteurs plus hardis ou plus indulgens croient qu’on peut être chrétien dans le monde, y porter la loi de Dieu et l’y garder ; ils croient que les arts peuvent être chrétiens, que le théâtre même peut l’être, et qu’il n’y a pas une incompatibilité absolue entre la morale et la comédie. Cette doctrine est généreuse et charitable, mais elle n’est pas relâchée, quoi qu’on en dise, car elle impose au monde beaucoup d’obligations en retour de beaucoup de liberté. Elle ne craint aucun de ces développemens de la sociabilité humaine qui effraient Rousseau, et que Nicole et Bossuet conseillent d’éviter. Que de freins en effet elle a pour arrêter l’essor de l’âme humaine vers le mal ! Que de remèdes contre le mal ! que de secours dans le danger ! Une règle sévère et minutieuse, une direction attentive, une surveillance scrupuleuse, une confession souvent renouvelée, que sais-je ? Dans cette doctrine, l’homme peut aller partout, parce que la loi le suit partout ; plus il peut, plus il doit. La règle chrétienne ainsi entendue a le privilège de s’étendre avec le cœur de l’homme et de le suivre dans tous ses mouvemens, si bien que la civilisation a beau s’avancer, emportant avec elle en avant le cœur et l’esprit de l’homme : la religion l’accompagne toujours, et le cercle de nos devoirs s’agrandit en même temps que le cercle de nos sentimens et de nos idées.

Cette doctrine me plaît, encore un coup, et je ne la crois ni relâchée ni impraticable. Ce sont là pourtant, je l’avoue, ses deux écueils. Ou elle permet tout en absolvant tout, ce qui amène le relâchement, ou elle prescrit et dirige tout, ce qui amène la raideur. J’entends bien avec le bon père Porée que le théâtre peut servir à enseigner l’honnêteté et la vertu ; je crains cependant que de ce côté nous ne