Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre l’amour et la galanterie il n’y a que la différence de la passion ; mais il défend la famille et la condition à la fois grande et douce que la famille fait aux femmes. Dans l’évêque comme dans le philosophe, même dédain ou même colère contre la vie artificielle des femmes dans le monde, contre les plaisirs de la vanité substitués aux plaisirs et aux devoirs du foyer domestique, contre l’abaissement des hommes qui perdent leur dignité à faire perdre aux femmes leur honneur. Dans Rousseau, les femmes sentent un censeur qui les aime, et voilà pourquoi elles lui ont tant pardonné ; dans Bossuet, elles sentent un chrétien qui les plaint, dès qu’il les voit moins honorées qu’il ne les imagine, et cet attendrissement, qui est la seule émotion que puisse comporter la sévérité chrétienne, vaut pour elles l’amour qu’elles trouvent dans Rousseau. Partout où Bossuet parle de la femme, il en parle avec ce sentiment à la fois tendre et sévère, avec cette grâce majestueuse qui louche et qui épure les cœurs, et s’il maudit l’abus que la femme fait du pouvoir qu’elle a sur le cœur de l’homme, c’est qu’il s’indigne que, Dieu l’ayant faite si grande, le monde la fasse si petite, et qu’il lui fasse prendre son humiliation pour son triomphe.

Auprès de la gravité affectueuse qu’a Bossuet, auprès du respect passionné qu’a Rousseau en parlant des femmes et de leur condition dans la société, les réflexions et les sentimens de d’Alembert paraissent frivoles et mesquins. Il y a à propos des femmes deux points principaux dans le Traité de Bossuet et dans la Lettre de Rousseau : le rang des femmes dans le monde, qui est un des effets du règne de l’amour sur le théâtre, et la condition des comédiennes. Voyons d’abord ce que d’Alembert dit des comédiennes. Bossuet en parle avec une pitié généreuse, Rousseau avec une indifférence dédaigneuse ; d’Alembert met dans l’apologie qu’il fait des comédiennes une pédanterie philosophique qui rend ses clientes ridicules. « La chasteté des comédiennes, j’en conviens avec vous, dit d’Alembert, est plus exposée que celle des femmes du monde ; mais aussi la gloire de vaincre en sera plus grande : il n’est pas rare d’en voir qui résistent longtemps, et il serait plus commun d’en trouver qui résistassent toujours, si elles n’étaient découragées de la continence par le peu de considération qu’elles en retirent… Qu’on accorde des distinctions aux comédiennes sages, et ce sera, j’ose le prédire, l’ordre de l’état le plus sévère dans ses mœurs. » Ne vous étonnez pas de ce plaidoyer pour les comédiennes ; tout se tient dans l’erreur, et le même homme qui prétendait que le théâtre est une école de mœurs devait prétendre que les comédiennes pouvaient faire dans l’état un ordre chargé de représenter la pudeur. Étrange paradoxe, mais qui est conforme au mauvais esprit philosophique du XVIIIe siècle, lequel substitue