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— De noce ? me répondit-il d’un air étonné. Et de qui donc, s’il vous plaît ?

Je crus qu’on voulait tenir la chose secrète et qu’il me la cachait ; mais j’étais décidé à coller le vin jusqu’à l’avoir clair. — Eh ! mais, dis-je, d’Émile Dupuis. Allez-vous faire l’ignorant ?

— Émile Dupuis, dit-il, Émile Dupuis se marie ! Qu’est-ce que vous nous chantez là ? Il y a vingt-cinq ans que je suis vigneron des Dupuis ; c’est moi qui soigne leur cave, moi qui vends leur vin, et je me flatte qu’ils n’ont jamais trouvé à redire aux prix. Leurs poules ne font pas un œuf sans que je le sache. Eh bien ! hier encore, sans aller plus loin, j’ai vu Mme Dupuis, et elle ne m’a pas soufflé mot de ce mariage : vous voyez donc bien qu’il n’en est pas question. Mais encore ceux qui ont fait courir ce bruit-là lui ont-ils au moins trouvé un bon parti ? Avec qui dit-on qu’il se marie ?

Je répondis que c’était avec Élisa Roset.

— Ha ! ha ! ha ! dit le père Renaudot en riant aux éclats ; la bonne farce ! Émile Dupuis avec Élisa Roset ! Une belle petite mijaurée, votre Élisa Roset ! Ça n’a pas seulement de quoi jouer à pair ou non avec des pièces blanches. Savez-vous que Mme Dupuis a cent ouvrées de vigne, sans compter sa ferme en montagne, et rien que deux enfans ? Elle n’est pas gênée, cette petite Roset ! Avec ça qu’on dit qu’elle est prise à la poitrine et qu’un de ces quatre matins elle ira, porter terre sans panier ni fossou. Mon pauvre Jean-Denis, ceux qui vous ont raconté cela se sont joliment moqués de vous !

Autant les premières paroles du père Renaudot m’avaient fait plaisir, autant ce qu’il me dit de Mlle Élisa me causa de peine. J’étais révolté de l’entendre parler d’elle avec si peu de respect. Si j’avais eu un chemin un peu long à faire avec lui, je le quittais net ; mais le sentier de ma vigne n’était plus qu’à quelques pas, je patientai. Arrivé en face, je m’aperçus bien que le père Renaudot avait envie de causer encore ; je lui souhaitai brusquement le bonjour, et j’enfilai le sentier. Je ne savais si je devais pleurer ou rire, ou plutôt je pleurais et je riais tout à la fois. Ce n’est pas mon ouvrage de ce jour-là qui a fait pousser bien des raisins. Le soir, me sentant assez calme, j’allai chez ma tante avant souper. Il y avait bien longtemps que je n’y avais paru. Je la trouvai seule ; mes cousines n’étaient pas encore revenues de journée, et leurs deux frères étaient au mois de Marie. Ma tante me reçut avec une froideur extrême : — Assieds-toi, Jean-Denis, me dit-elle ; je désirais te voir, j’ai à te parler.

Je fis comme elle me commandait. J’aurais voulu pour tout au monde n’être pas venu.

— Écoute-moi, Jean-Denis, reprit-elle d’un ton sévère, bonne