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d’Angleterre, du consentement et avec le concours de son parlement, vient d’entrer résolument dans la noble voie tracée par ce puissant génie, et désormais il est permis d’espérer que le sort des populations de l’Hindoustan s’améliorera graduellement sous l’influence d’institutions analogues en principe à celles d’Akbăr, mais sagement adaptées aux conditions nouvelles où se trouve le monde civilisé.

Aussi l’administration des Indes anglaises nous semble-t-elle dès ce moment présenter un résultat plus rassurant, à beaucoup d’égards, que ne l’auraient fait supposer les attaques dirigées tout récemment encore, en Angleterre même, contre le board of control et la compagnie, ou ce qu’on appelle le double gouvernement. De grands abus ont cessé, de grandes améliorations ont été introduites dans les rapports du gouvernement européen avec les indigènes ; les privilèges de race n’élèvent plus de barrières complètement infranchissables pour le mérite hindou ou musulman, et il est facile de prévoir que la réforme ne s’arrêtera pas là. Les progrès de la civilisation, l’infiltration lente, mais inévitable, des idées occidentales, le mélange également lent, mais également inévitable, des races et de leurs aptitudes diverses, donneront à la société anglo-indienne un caractère spécial qu’il faut prévoir, et dont le gouvernement anglais ne saurait impunément méconnaître la portée politique. Que de prudence, que d’habileté exige l’application de cette tolérance nécessaire en principe, mais redoutable à la longue dans ses effets, que le pouvoir européen est forcé (comme condition de son existence) d’étendre non-seulement aux croyances religieuses, mais aux différences sociales, aux préjugés qui le séparent des populations asiatiques, dont il a voulu embrasser les intérêts dans la plus large synthèse que jamais un pouvoir ait tentée !

Les Anglais ne se dissimulent pas sans doute les inconvéniens et les dangers inséparables d’une domination d’une nature aussi exceptionnelle. Le fardeau actuel, quelque magnifique qu’il puisse être, est lourd à porter, même pour la Grande-Bretagne : que sera-ce de l’avenir ? Le nœud de la difficulté n’est pas un de ces nœuds gordiens que puisse trancher l’épée d’un nouvel Alexandre. Ce qui a manqué jusqu’à présent à la puissance anglaise dans l’Inde, ce n’est pas l’admiration ou même l’estime de ses administrés, c’est leur affection. C’est à conquérir cette affection si nécessaire, m désirable, que devraient tendre désormais tous ses efforts ; c’est là qu’est le secret de la domination à venir ; c’est celui dont Akbăr avait fait usage, et que ses successeurs n’ont pas impunément dédaigné. Peut-être n’est-il pas trop tard pour atteindre à ce but moral, si digne de la plus haute, de la plus noble ambition qui puisse animer un grand peuple ; mais la complication des intérêts à ménager, des droits à satisfaire, des