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IV. — DE LA RÉFORME ACTUELLE ET DES RÉFORMES NÉCESSAIRES DANS LE GOUVERNEMENT DE L’INDE.

On croirait difficilement que les conditions dans lesquelles se trouve, depuis 1833, le gouvernement des Indes orientales fussent aussi imparfaitement connues en France qu’elles le sont encore aujourd’hui. Ainsi, et pour en donner un exemple frappant, l’Inde anglaise a été, dans l’organe officiel du gouvernement français, l’objet d’une série d’articles où, parmi des faits recueillis et comparés avec soin, des détails importans, des réflexions judicieuses, on trouve des assertions inexactes ou étranges, qui décèlent une étude bien incomplète du sujet[1]. L’insuffisance des notions recueillies en France sur la situation du gouvernement anglais dans l’empire hindo-britannique nous décide à analyser avec quelque détail l’acte important qui la domine et la règle aujourd’hui.

Avant de nous rendre compte des principales dispositions du nouvel acte destiné à pourvoir au gouvernement de l’Inde, et pour en bien faire comprendre la signification et la portée actuelle, nous rappellerons que la cour des directeurs de la compagnie, émanée de la cour des propriétaires[2], se composait, sous la dernière charte, de

  1. Un de ces articles, celui du 8 février dernier, après avoir annoncé que l’auteur a consulté les documens officiels « publiés avec la profusion ordinaire de l’autre côté du détroit, » contient les assertions suivantes : « On sait que le bill de 1833 avait supprimé le monopole commercial de la compagnie. Le nouveau bill a été inspiré et conçu dans une excellente pensée : affermir l’autorité du gouvernement central du royaume-uni, fractionner dans une certaine mesure le gouvernement général de l’Inde, en le localisant davantage, et laisser l’administration ainsi que la gestion commerciale à la compagnie. » Or le nouveau bill a non-seulement enlevé à la compagnie le droit exclusif (dont elle était investie) de commercer avec la Chine, mais lui a imposé l’obligation, par elle acceptée, d’abandonner tout commerce, et de se défaire, dans le plus bref délai possible, de toutes les valeurs commerciales en sa possession et de toutes propriétés mobilières et immobilières qu’il ne paraîtrait pas utile de conserver dans l’intérêt du gouvernement de l’Inde (articles 3 et 4). L’analyse du nouveau bill, donnée aussi dans le Moniteur du 15 février, contient de nombreuses inexactitudes. On y cite un passage des Souvenirs du Gouvernement de l’Inde (*), de M. Tucker, où cet ancien directeur exprime sa conviction qu’avec le temps mis à profit par un bon système d’éducation et une prudente propagande, la lumière évangélique doit finir par dissiper sans perturbations les nuages superstitieux dont le sentiment religieux s’enveloppe encore dans l’Inde. On ajoute : « En effet, que le christianisme, fidèle à sa loi et à sa marche, s’attaque par la persuasion à l’homme intérieur, l’homme extérieur sera aussitôt transformé, comme il le fut en Occident. » N’est-ce pas trahir une connaissance très incomplète du caractère des Hindous ? n’est-ce pas même apprécier bien imparfaitement l’autorité des habitudes en général que d’admettre et d’affirmer ainsi la conversion prochaine des peuples de l’Hindoustan ?

    (*) Memorials of Indian government… from the papers of G. S. George Tucker, late director of the E. I. Company, edited by J. W. Kaye. London, 1853, {{{{in-8°}}}}.

  2. Voir, sur la constitution et les pouvoirs de la compagnie en 1833, la Revue des Deux Mondes du 15 mai 1840.