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dictionnaire ont enrichi la nomenclature de quinze cents mots nouveaux. Ils ont noté les archaïsmes, signalé les exceptions et les défectuosités, distingué les termes usuels de ceux qui le sont moins, et de la sorte ils ont établi nettement ce qu’on pourrait appeler la personnalité de chaque mot. Tout ce qui se rattache aux lois, aux mœurs, à l’art militaire, à l’administration politique, a été de leur part l’objet d’une égale attention, et sous ce rapport leur travail offre une incontestable supériorité, car il. est tout à la fois philologique et archéologique[1].

Le Dictionnaire latin-français[2], rédigé par M. Theil, d’après les meilleurs travaux allemands et surtout d’après le grand ouvrage de Freund[3], doit être également compté parmi les bons livres classiques qui ont paru dans ces dernières années. Il en est de même du Dictionnaire des Synonymes de la langue latine, de M. Barrault, ouvrage qui a valu à l’auteur, en 1853, le grand prix de linguistique décerné par l’Académie française[4]. Tout ce que l’antiquité nous a légué sur cette partie si importante de la philologie se borne, on le sait, à une vingtaine de pages de Fronton. Complètement oubliée par le moyen âge et négligée par la renaissance, la synonymie latine fit pour la première fois son apparition en France en 1777 avec le livre de Gardin-Dumesnil. L’Allemagne, à partir de cette époque, s’en occupa très activement, et de 1826 à 1838 M. Ludwig Dœderlein fit paraître un grand traité dans lequel il résuma, en les complétant, les travaux de ses devanciers. M. Barrault, tout en restant toujours exact, a trouvé des choses neuves encore, même après le savant allemand, et son livre formera désormais le complément indispensable des dictionnaires. La préface, dans laquelle il retrace l’histoire des études synonymiques en Europe, est un curieux morceau de critique littéraire : on y voit entre autres que les synonymes ont été de mode en France tout aussi bien que les dissertations sur le pays de Tendre, les chansons, les sonnets, les charades, et qu’ils ont fait dans le salon de Mlle de Lespinasse les délices de Beauzée, de d’Alembert et de Diderot.

Les études grammaticales sur la langue latine ont suivi de nos jours, comme

  1. Il suffira de citer un seul exemple pour montrer combien l’archéologie et la parfaite connaissance des usages et des lois de l’antiquité sont nécessaires aux lexicographes. Reducere uxorem, dans la plupart des dictionnaires, est traduit par se marier une seconde fois, tandis que le véritable sens est reprendre la femme dont on s’était séparé, ce qui est tout différent, puisqu’il n’est question que d’une seule et même épouse. L’exactitude ici est d’autant plus importante, qu’il s’agit d’un trait caractéristique des mœurs romaines, où le mariage n’était pour ainsi dire qu’un bail sur papier libre qu’on pouvait résilier à son gré, en se réservant le droit de passer plus tard un nouveau contrat.
  2. Paris, Didot ; 852, grand in-8o.
  3. La lexicographie latine, suivant Freund, se compose de sept élémens, à savoir : l’élément grammatical, étymologique, exégétique, synonymique, chronologique, rhétorique et statistique. D’après cette méthode, l’auteur allemand indique les divers genres de mots et leurs irrégularités, les racines de tous ceux qui ne sont point primitifs, la signification propre et figurée, les nuances des mots entre eux, les diverses époques auxquelles ils appartiennent, l’ordre d’idées ou d’institutions sociales auxquelles ils se rapportent, leur emploi plus ou moins usuel, leur nationalité, etc.
  4. Paris, Hachette ; 1853, grand in-8o.