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Durant les premiers ans du Parnasse françois.
Le caprice tout seul faisait toutes les lois ;
La rime au bout des mots assemblés sans mesure
Tenait lieu d’ornemens, de nombre et de césure.
Villon sut le premier dans ces siècles grossiers
Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers.

On ne doit pas, j’en conviens, exiger d’un poète l’exactitude d’un érudit ; mais, en vérité, est-il possible de mieux témoigner que, de son temps, on avait perdu toute idée des premiers ans du Parnasse françois ? Bien loin que le caprice seul fît toutes les lois, jamais le caprice n’a été tant banni de la poésie française, car l’art des vers, étant né spontanément dans un milieu suffisamment développé, était trop près des inspirations qui l’avaient produit pour s’égarer. Bien loin que les mots fussent assemblés sans mesure, la mesure est observée avec une rigueur parfaite, et, en lisant tant de milliers de vers composés par tant d’hommes différens, on est singulièrement frappé de la sûreté d’oreille qui, alors prévalant, empêchait les écarts. Bien loin que la rime tînt lieu de césure, la césure est toujours fortement marquée, tellement que le muet n’a pas plus besoin d’y être élidé qu’à la fin du vers, et il est impossible de rencontrer aucune faute contre cette règle. Bien loin que Villon ait rien débrouillé, les formes de poésie qu’il a employées avaient été trouvées par d’autres que lui et longtemps avant lui ; bien loin enfin qu’il n’y eût dans ces vers d’autre élément que la rime, le fait est que la rime y fait parfois défaut, dans les plus anciens poèmes du moins, où les trouvères se contentent souvent d’une simple assonance. Le caprice ! Boileau s’imagine-t-il que le caprice ait rien à voir dans la création de tout un ensemble de poésie et de versification au sein du vaste pays qui s’étend de la mer Méditerranée jusqu’à l’Escaut et à la Meuse (car ici on ne sépare pas la langue d’oc de la langue d’oïl, le provençal du français) ? Comment, si le caprice avait gouverné ces choses, les poètes et les auditeurs se seraient-ils trouvés d’accord, les uns pour chanter suivant un mode, les autres pour sentir et goûter ce mode ? Et comment ne pas reconnaître que le nouveau vers eut pour origine la mélodie propre à la langue qui se formait ? La mesure ! Mais est-ce que ceux dont le sentiment musical fut assez vif pour créer le vers héroïque avec ses dix syllabes et avec sa combinaison d’accens, et plus tard le vers alexandrin, qui n’en est qu’une modification, étaient capables de faillir contre des règles qui ne leur étaient pas enseignées dans leurs classes, mais dont ils avaient l’intuition spontanée ? La césure l’Boileau aurait-il été en état de répondre, si on lui avait demandé pourquoi il y avait une césure dans ce vers dont il se servait par tradition, tandis que l’oreille antique, déterminée par