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Le 17 juillet 1420, la France triomphante, mais couverte de plaies, sacrait son roi sous les voûtes de la cathédrale de Reims. Charles VII reprenait des mains d’une femme la couronne que, dans sa lâche insouciance, il avait laissée tomber. Éternel sujet de surprise et d’admiration ! cette femme n’était qu’une simple bergère, une paysanne de dix-huit ans qui ne savait pas lire, mais dont la sublime ignorance confondait tous les docteurs. Naguère rougissante et timide, Jeanne aujourd’hui commandait au peuple et à l’armée ; elle avait su dompter par son chaste regard les hommes les plus féroces et les plus dissolus de la terre, les capitaines de Charles VII, ces farouches Armagnacs, demi-seigneurs, demi-brigands. Non, l’histoire n’offre pas deux épisodes comme celui de Jeanne d’Arc. Jamais créature plus noble, plus immaculée, n’a été montrée aux hommes ; jamais dévouement plus extraordinaire, plus imprévu, n’a été payé d’une plus noire ingratitude. Au commencement d’un abominable siècle que Dieu punissait déjà en lui envoyait tous les fléaux, du fond de cette boue détrempée dans le sang, en face d’une cour astucieuse et débauchée, en face de l’étranger devenu maître de la France, quand la désolation était partout, au moment où la monarchie française s’écroulait, — tout à coup on voit s’élever une belle et simple fille qui, sans autre prestige que son enthousiasme et sa foi, entraîne après elle, sur le chemin de la victoire, prêtres, courtisans, peuple et soldats, et délivre en quelques mois du joug anglais son pays et son roi, qui bientôt après l’abandonnèrent aux fureurs de l’ennemi ! Par son patriotisme, Jeanne appartient à l’antiquité ; par cette voix d’en haut qui lui commande et qu’elle écoute, Jeanne rentre dans la légende ; par quelques larmes au moment du supplice, Jeanne retombe au niveau de l’humanité, et nous ne l’en aimons que mieux.

Rapide et tragique histoire ! Elle commence dans les verdoyantes vallées de la Meuse, sous les feuilles du vieux hêtre hanté par les fées ; elle prend fin entre les noires murailles de Rouen, sur un bûcher, au milieu d’une soldatesque ennemie, ivre de superstition et de vengeance, et dont la férocité s’accroît sous l’influence de quelques démons revêtus de la pourpre sacerdotale. Oh ! comme les visions de la prairie, blanches figures de saintes dont la voix était si douce qu’elle faisait pleurer Jeanne, comme le petit jardin qui se cache dans l’ombre du clocher de Domremy, lieu saint où la vierge rêveuse et muette se transformait lentement en une amazone chrétienne parmi les fleurs et sous les regards des anges, comme cette églogue qui prépare une explosion héroïque rafraîchit notre âme troublée par les luttes sanglantes d’un monde de damnation et de mort ! Jeanne si mystérieuse et si naïve à la fois, Jeanne l’ignorante, plus savante néanmoins que les plus fins politiques, puisque c’est Dieu qui la conseille, Jeanne est venue clore le grand cercle mythologique dans lequel l’antiquité et le moyen âge se trouvent circonscrits. À partir de cet instant, c’est la plate réalité qui gouverne ; le merveilleux disparaît, le miracle est à jamais chassé de l’histoire.

Que Jeanne d’Arc ait existé, que ce soit une réalité certaine, personne n’ose le nier, car le monde entier l’affirme, et cependant qui osera dire aussi que Jeanne n’est point une apparition, une fille du ciel un instant descendue sur la terre pour racheter la France par son propre sang ? À ce titre, elle