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du XIIe siècle, anonyme comme tant d’autres œuvres des trouvères et véritablement amusante et pleine de galerie. Un jour Charlemagne était au moutier de Saint-Denis ; il avait la couronne sur la tête et l’épée au côté ; près de lui était la reine portant aussi couronne splendide au chef. Il la prend par le poing, et, la menant sous un arbre, lui demande si elle vit jamais homme sous le ciel à qui l’épée au côté et la couronne au chef fussent si bien séantes. La dame, au grand déplaisir de Charles, répond qu’elle en connaît un. « Nommez-le, dit l’empereur ; nous porterons ensemble les couronnes sur la tête, et, si je la porte mieux que lui, vous paierez cher votre dire : je vous trancherai la tête avec mon épée d’acier. » La reine voudrait bien lors avoir retenu sa langue ; mais enfin, pressée, elle nomme l’empereur de Constantinople, Hugues le Fort. Voilà Charlemagne avec ses douze pairs parti pour la ville du prince qui porte la couronne mieux que lui. Cette plaisante querelle se termine plaisamment. Arrivés à Constantinople et bien reçus, Charlemagne et les douze pairs boivent du vin le soir et gabent à qui mieux mieux, c’est-à-dire se vantent de parfaire des choses incroyables, par exemple de partager d’un coup d’épée un homme armé et son cheval bardé de fer, exploit qui, dans les chansons de geste, ne coûte rien à Roland, à Ogier, à Renaud. Cependant un espion aposté par Hugues rapporte tout au roi, et ils sont mis au défi. Ici la protection miraculeuse intervient ; chacun, l’un après l’autre, accomplit son gab, si bien que Hugues demande merci. Les deux empereurs portent couronne l’un à côté de l’autre, et il est bien avéré que c’est Charlemagne qui la porte le mieux et le plus haut ; il dépasse son rival, dit le trouvère,

…….. d’un pied et de trois pouces.

Dans la grande poésie ou poésie de longue haleine, il y a plusieurs genres, distingués par le sujet et par le rhythme. Le plus ancien et le plus important est la chanson de geste ou la geste, consacrée à Charlemagne et aux barons carlovingiens. Celle-là est en vers le plus souvent de dix syllabes (quelquefois alexandrins) et en couplets monorimes plus ou moins longs. Je laisse de côté comme secondaires les poèmes peu nombreux qui ont pour matière des sujets tirés de l’antiquité, par exemple les exploits d’Alexandre, et qui, moins importans et moins originaux, suivent d’ailleurs le même rhythme.

Les légendes carlovingiennes forment le fonds national et indigène ; mais cela n’empêcha pas des légendes étrangères, aussi anciennes du moins, de pénétrer dans la poésie du moyen âge et d’y former un second cycle : c’est celui d’Arthus et des chevaliers de la Table-Ronde. Il est considérable, mais non original ; il faut en aller chercher la source dans les récits celtiques (car les Celtes aussi eurent leur poésie suivant le temps et la civilisation), et là les trouvères ne