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caprice, attira bientôt en Russie des intrigans de toute espèce, les uns aussi vils que féroces, les autres rachetant du moins par l’éclat du génie leur barbare égoïsme. On avait vu une servante, la femme d’un soldat livonien, la concubine d’un général, devenir la maîtresse favorite du tsar, se faire épouser de son amant après lui avoir donné deux filles, et lui succéder sur le trône ; on avait vu un vil bouffon séduire ce même prince par je ne sais quelle repartie spirituelle, et de bouffon devenir général, prince, ministre, partager enfin l’administration de l’empire sous Catherine Ire et être sur le point de marier sa fille au petit-fils de Pierre le Grand. Comment ces étrangers, chez qui se trouvaient alors toutes les ressources militaires et tous les talens diplomatiques de l’empire, n’auraient-ils pas été éblouis par ces provocations de la fortune ? Les révolutions de palais qui ensanglantent la Russie pendant le XVIIIe siècle ne sont pas, comme on l’a cru trop souvent, les convulsions incohérentes du pouvoir despotique ; il y a un lien logique et lumineux à travers ces péripéties confuses, c’est la lutte du parti moscovite contre les aventuriers de l’Allemagne.

Parmi les étrangers dont Pierre le Grand appréciait le plus les services, il y avait un Westphalien nommé Ostermann. Fils d’un pasteur de campagne, le jeune Allemand étudiait à l’université d’Iéna, lorsque, forcé de fuir après une querelle de taverne où il avait eu le malheur de tuer un de ses camarades, il chercha un asile en Hollande. Un Hollandais célèbre, l’amiral Croys, qui commandait la flotte russe, eut occasion de connaître le jeune réfugié et le prit à son bord comme secrétaire. Vif, brave, intelligent, aussi distingué par ses talens de marin que par la souplesse de son esprit, il fut promptement remarqué de Pierre le Grand, qui le chargea de négociations importantes. Sa fortune s’accrut rapidement. Nommé baron et conseiller intime par Pierre Ier, il fut élevé sous Catherine à la dignité de vice-chancelier de l’empire. Ostermann savait combien sa position était difficile auprès de ces favoris russes qui commençaient à détester l’influence des Allemands. Habile à s’effacer, il cachait aux yeux de tous son ambition et ses projets. Personne n’eût deviné sous ce prudent administrateur, uniquement occupé d’affaires de détail, l’aventurier hardi qui se proposait de gouverner à son gré les destinées de l’état. Pendant le règne de Catherine, Menchikof fut pris à cette dissimulation si bien jouée, et lorsque Pierre II, fils d’Alexis, eut remplacé sur le trône la femme de son grand-père, la réaction moscovite qui signala ce règne ne s’inquiéta pas d’Ostermann. Le vieil esprit russe avait reparu avec le fils du malheureux Alexis ; la mère d’Alexis, l’impératrice Eudoxie, première femme de Pierre le Grand, répudiée par lui et depuis longtemps retirée dans