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seuls son trône, et ses amans même étaient choisis parmi cette aristocratie nationale. Les Orlof, les Teplof, les Potemkin, les Suvarof, les Rumjankof, occupaient les postes supérieurs de l’armée et de l’administration civile. Catherine cependant savait bien que ses fonctionnaires allemands étaient ceux qui rendraient le plus de services à l’état : les Orlof étaient environnés de lieutenans étrangers qui menaient à bien les projets de l’impératrice sans leur enlever l’honneur du succès, et c’est ainsi que deux Allemands, le général Bauer et le diplomate Assebourg, remportaient des triomphes qui ne réveillaient plus les haines de race. Pour introduire l’élément germanique en Russie, Pierre le Grand avait brisé toutes les résistances : l’égorgement des strélitz et le supplice même de son fils disaient assez clairement jusqu’où irait son implacable volonté ; Catherine II avait marché au même but, mais par des voies tortueuses, et obligée, en qualité de princesse allemande, de dissimuler sa politique, elle s’était appliquée à relever l’orgueil moscovite sans cesser de mettre à profit la science et le talent des étrangers. Comment s’étonner que la princesse d’Anhalt-Zerbst, la femme du duc de Holstein-Gottorp, soit devenue, aux yeux de la Russie enivrée, le plus grand et le plus glorieux des vrais chefs nationaux ?

À dater du règne de Catherine II, on chercherait en vain le parti germanique aux premiers rangs de la scène. Si les Russes et les Allemands continuent encore à rivaliser dans l’ombre, leurs luttes ne produisent plus de ces catastrophes comme celles dont nous venons de parler, et bientôt les deux factions se fondent l’une dans l’autre et disparaissent. Lorsque Paul Ier, après son alliance avec le premier consul, fut étranglé par des conspirateurs, c’était là une de ces tragédies sanglantes telles qu’il y en aura toujours dans les gouvernemens despotiques, ce n’était pas une révolution intérieure au profit d’un parti. La politique européenne n’y fut pas étrangère, et il est probable que les agens de l’Angleterre contribuèrent à la chute du tsar, de même que le marquis de La Chétardie, en 1741, avait pris part, dans l’intérêt de la France, à la révolution qui porta Élisabeth sur le trône ; mais les diplomates, quels qu’ils soient, dont la terrible nuit du 23 mars 1801 favorisait les plans, ne trouvèrent pas à exploiter contre le tsar Paul des passions allemandes ou moscovites, comme ils l’eussent pu un demi-siècle auparavant. On ne voit pas ici en présence les Biren et les Dolgorouki. Le chef de la conspiration était un Esthonien de race allemande, le comte Pahlen, directeur de la police de l’empire, directeur général des postes et commandant en chef des troupes de la capitale ; ses complices étaient indifféremment des Allemands ou des Russes. À côté du comte Benningsen, gentilhomme hanovrien qui s’était distingué, sous Catherine II, dans les guerres