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russe Grégorius ne tarit pas d’éloges sur l’honnêteté, la probité, la loyauté germaniques et sur l’amour profond que l’Allemagne a su inspirer aux Moscovites. Quoi de surprenant d’ailleurs ? Le tsar n’ignore pas que les Russes et les Allemands ont une même origine ; les Russes occupent encore le pays qu’habitèrent, il y a des siècles, les premiers païens des deux peuples, ils ont conservé de cette parenté le plus cordial souvenir, et c’est ainsi que tant de noms de villes en Russie, tant de noms de châteaux, de rivières, de montagnes et de forêts sont demeurés des noms allemands. Que vous semble de cette curieuse théorie historique ? Nous sommes frères, disent les Russes du XIVe siècle aux fils de Luther et de Wallenstein, et ces frères, bon gré mal gré, vont s’immiscer d’heure en heure aux plus chers intérêts de la famille commune.

Le XVIIe siècle est rempli en Russie par des bouleversemens intérieurs, des usurpations, un changement de dynastie, de longues guerres avec les Tartares, et surtout avec les Polonais, qui entrèrent vainqueurs à Moscou et furent sur le point de soumettre tout l’empire ; mais au commencement du XVIIIe siècle, après que le tsar Alexis et son fils Pierre le Grand ont relevé l’état ébranlé, la politique fraternelle d’Ivan le Terrible est reprise aussitôt et poursuivie à outrance. En 1701, Pierre le Grand s’empresse de reconnaître le royaume de Prusse nouvellement constitué ; un homme d’état de race allemande, un ministre de la tsarine Elisabeth, Bestuschef, lui reprochera plus tard ce qu’il appelle une faute énorme, comme il blâmera Elisabeth de s’être montrée un instant sympathique à Frédéric le Grand, et d’avoir approuvé ses conquêtes en Silésie ; Bestuschef ne comprend pas la vraie politique russe. C’est l’intérêt des tsars que l’Allemagne du nord se sépare de plus en plus de l’Allemagne du midi ; l’antagonisme de l’Autriche et de la Prusse leur fournira des occasions précieuses. L’invasion moscovite en Allemagne va se déployer bientôt sous toutes les formes. D’abord, en 1710, Pierre le Grand marie sa nièce Anna Ivanovna au duc de Courlande, et en attendant que ce duché tout germanique devienne légalement une province russe, il est soumis de fait à l’autorité des tsars. L’année suivante, il marie son fils Alexis avec une princesse de Wolfenbuttel ; c’est un prétexte pour visiter l’Allemagne : il va à Dresde, à Carlsbad, il voit Leibnitz a Torgau, et de même que l’empereur Nicolas envoie des témoignages de sa satisfaction aux chefs de l’armée autrichienne en Italie, il prodigue les titres au grand philosophe et lui donne une pension annuelle de 1,000 roubles. Les Scandinaves menacent le nord de l’Allemagne ; Pierre le Grand envoie une armée en Poméranie sous le commandement de Galitzin, de Repnin, de Bauer, et obligé bientôt de retourner en Russie, il laisse son fils Alexis et son favori Menchikof