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ans plus tard la tsarine Elisabeth leur rendait leurs grades et leurs fonctions dans l’armée.

Ce ne sont ! à, dira-t-on, que des incidens isolés ; ce sont des symptômes terribles, et dont l’effet ne se fera pas attendre. Les Russes s’habituent à se considérer comme les suzerains des peuples germaniques, et ils se sont empressés de saluer la puissance nouvelle qui va briser l’unité de la vieille Allemagne ; laissez éclater maintenant l’inévitable antagonisme de l’Autriche et de la Prusse, la place de la Russie est marquée d’avance au milieu de ce saint empire romain qui est le centre de l’Europe.


II

Il y a surtout trois guerres fatales : la guerre de sept ans, la guerre de Pologne, la guerre de la succession de Bavière, qui ont fourni à Elisabeth et à Catherine II, au-delà même de leurs espérances, l’occasion impatiemment appelée. De 1756 à 1761, Marie-Thérèse attire les Russes dans l’Allemagne du nord pour tenir Frédéric II en échec. Rappelez-vous ici la situation des parties belligérantes, et remarquez un fait longtemps inaperçu : il y a d’un côté Frédéric le Grand et l’Angleterre, de l’autre Marie-Thérèse avec les Français et les Russes ; or personne, si ce n’est Frédéric, ne semble faire attention au rôle des Russes dans ces luttes embrouillées. L’Autriche n’a qu’un but, arrêter l’essor menaçant de la Prusse en lui reprenant la Silésie, l’Angleterre songe surtout à détruire la puissance maritime de la France. La France a deux ennemis, l’Angleterre et la Prusse, et un allié, l’Autriche. Quant aux Russes, ni les Anglais qui les combattent, ni les Autrichiens et les Français qui marchent sous le même drapeau, ne soupçonnent l’intérêt qu’ils ont à la guerre et le rôle particulier qu’ils y jouent. On sait avec quel dédain la cour de Louis XV traitait cet empire à demi barbare ; l’aristocratie anglaise, qui se battait pour la domination des mers, ne s’inquiétait guère non plus des rapports de la Russie avec l’Allemagne. C’est l’heure cependant où se dévoilent les secrètes ambitions moscovites. Pendant les cinq premières années de la guerre, la Russie conçoit la pensée de partager la Silésie avec la Prusse et de s’emparer de la Prusse orientale. Partout, dans les villes et les campagnes de la province de Prusse, les généraux d’Elisabeth déploient une douceur inaccoutumée. Vainqueurs, ils ne veulent pas de contributions de guerre ; qu’on vienne seulement rendre hommage aux représentans de la très puissante tsarine. À Koenigsberg, la bannière avec l’aigle à double tête flotta plusieurs semaines sur les tours de la cathédrale. S’il n’y avait eu là un Frédéric le Grand, qui sait ce qui serait advenu de cette monarchie naissante ?