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depuis vingt ans au plus humiliant esclavage, Paul Ier, dès le début de son règne, est l’ennemi de cette France libérale dont Catherine avait tant désiré les suffrages. C’est lui qui se déclarera le protecteur de l’Europe contre la révolution, et il ne s’aperçoit pas, en agissant ainsi, qu’il ne fait que mettre à exécution la pensée secrète de cette mère détestée. Telle est l’impérieuse tradition du despotisme ; politiques supérieurs ou instrumens aveugles, elle impose à tous sa volonté fatale.

On sait avec quelle espèce de majesté pontificale les deux fils de Paul Ier ont pris ce rôle de défenseurs de l’ordre dans les grandes crises européennes ; Paul Ier n’y apporte pas la même diplomatie captieuse, et cette invasion menaçante, déguisée sous tant de prétentions solennelles, on la voit dès le premier jour se déployer à nu. L’Autriche ne craint pas d’appeler les Russes en Italie pour résister à nos armes ; aussitôt Paul Ier lance sur l’Europe une horde de Tartares commandée par une espèce de Gengis-Khan. Que Souvarof ait été un chef audacieux et habile, comment le nier ? Reconnaissez seulement que ce fut surtout un vrai chef de Mongols. En avant, et frappe ! tel est son cri de guerre. Féroce et superstitieux, les mains encore rouges du sang des Polonais, et pratiquant, comme les sauvages, toute sorte de cagoteries minutieuses, il se précipite sur les peuples du sud avec les hallas et les hourras épouvantables que les bandes asiatiques firent retentir jusqu’en Autriche au XIIIe et au XIVe siècle. Amis ou adversaires, contrées qu’il faut défendre ou qu’il faut attaquer, tout cela semble n’être pour lui qu’une même proie. Étrange protecteur de l’ordre et de la civilisation ! C’est la première fois que les Russes foulent le sol des contrées romanes ; ils ont traversé l’Allemagne, les voilà en Italie, en Piémont, en Suisse, aux portes de la France, et si Masséna, en 1799, avec Soult, Molitor, Mortier, Lecourbe, pendant ces douze jours d’opérations et de luttes à jamais mémorables qu’on appelle la bataille de Zurich, n’eût écrasé le barbare, Souvarof était bientôt devant Paris. Puissent les contrées romanes n’oublier jamais cette formidable apparition ! La Russie s’est dévoilée là tout entière. Bonaparte était en Égypte, tandis que Joubert, Moreau, Schérer, enchaînés par les absurdes plans du directoire, laissaient reprendre à Souvarof ses brillantes conquêtes de Lodi, de Castiglione, d’Arcole et de Rivoli. Il comprit dès ce moment la nécessité d’une guerre à outrance avec les Russes. Écoutez un interprète éloquent des pensées du génie : M. Villemain, dans ses Souvenirs, a parfaitement montré que la guerre de 1812 n’avait pas été l’explosion d’une colère subite ; Napoléon l’avait conçue « avant Tilsitt, avant la journée d’Austerlitz, avant l’empire, et du premier jour où il avait vu les Russes en Italie et la frontière de la France protégée contre eux par la bataille de Zurich. Dès lors sa pensée,