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a défrichés, de même il est besoin de soigner ce champ du langage qui, lui aussi ; a été défriché avec beaucoup de temps et de labeur. À la vérité, depuis le XVIIe siècle surtout, des grammairiens vigilans ont rendu beaucoup de services ; mais l’ignorance générale où l’on était de la vieille langue a exercé son influence, et leurs travaux ont eu une direction exclusive. Ce fut un purisme abstrait qui intervint dans la décision des questions ; n’ayant pas derrière lui l’appui solide de la tradition qu’il ignorait, qu’il dédaignait même, et tout disposé à traiter de barbare ce qui avait été auparavant, il prit le seul raisonnement pour son guide. De là le caractère étroit, souvent arbitraire, et par conséquent souvent incertain, qui affecte la grammaire française. Aujourd’hui que les défauts de ce régime s’accumulent, il est temps d’ajouter à l’autorité du raisonnement l’autorité de la tradition, qui s’offre féconde et abondante.

Les littératures, par le fait des langues, sont spéciales, servant à caractériser tout particulièrement les grands individus qu’on nomme peuples, à la différence des sciences, qui, elles, ne sont le bien propre d’aucun. Celles-ci ont l’universalité ; il n’est ni mathématique, ni astronomie, ni chimie, anglaise, italienne ou française, et les nations, du moins celles qui tiennent le premier rang dans le monde intellectuel, concourent, chacune pour sa part, à édifier la science positive, œuvre de l’humanité où toutes les diversités nationales viennent se confondre. Mais l’individualité de la patrie est inscrite au front des littératures, et, pour connaître pleinement les peuples, il faut connaître non-seulement ce qu’ils ont fait, mais aussi ce qu’ils ont écrit.

L’érudition fournit les matériaux à l’histoire, qui, sans ce travail préparatoire, mais essentiel, chancellerait de tous côtés. C’est ne pas la comprendre que de la dédaigner comme chose de pure curiosité, car elle est aussi nécessaire à la science sociale que les observations, les expériences, les dissections, le sont à la chimie, à la physique, à l’astronomie, à la biologie. Je pourrais, si c’était le lieu, montrer combien de points de vue elle a ouverts en ces derniers temps, et combien d’études elle a renouvelées. Ce qu’on doit lui demander, c’est, faisant avec clairvoyance ce qu’elle n’a fait qu’à tâtons jusqu’à présent, de se diriger par la véritable théorie historique dont la fondation est récente. Grâce à l’objet qu’ils s’étaient proposé, et qui est l’histoire littéraire de la France, les bénédictins ne se sont pas écartés du droit chemin, et leur œuvre, poursuivie par l’Académie des Inscriptions, est une source inépuisable de recherches, de documens, de renseignemens.


E. LITTRE, de l’Institut.