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la marquise et nombreuse compagnie. Le gouverneur s’avança, le chapeau à la main, et lui demanda s’il le connaissait. « Comment vouliez-vous qu’il vous connût ? dit aussitôt la marquise. Vous étiez seul dans l’église et en habit noir, et tous deux vous êtes totalement étrangers l’un à l’autre. » Saint-Chaumont n’en renouvela pas moins ses questions, auxquelles Herbert fit à peu près les mêmes réponses ; puis, après avoir salué la dame du lieu, il rentra avec Sackville dans son logis. Là il réfléchit à tout ce qui s’était passé, et, après une nuit assez calme, le résultat de ses méditations fut qu’il ne pouvait se dispenser d’envoyer une provocation au discourtois gouverneur. Sir Édouard Sackville refusa de se charger de la commission ; mais un Français, qui se trouva précisément celui à qui Herbert avait, au siège de Juliers, offert de servir de second, fut plus complaisant et voulut bien porter à Saint-Chaumont la lettre de défi, qu’il trouva d’ailleurs fort civile. La nuit suivante, notre malendurant voyageur dormait dans son auberge, quand vers une heure du matin il est réveillé par le bruit de quelques personnes qui semblent forcer sa porte. Il se lève en chemise, tire son épée, ouvre sa porte, et trouve sur l’escalier une demi-douzaine d’hommes armés de hauberts. Déjà il se mettait en devoir de leur faire résistance, mais leur chef l’informe qu’il vient de la part du duc de Montmorency. C’était le fils du défunt connétable[1] qui, revenant de Languedoc à Paris, avait tout appris en passant à Lyon. Il attendait chez le gouverneur l’ancien ami de son père. Herbert s’habilla en hâte et fut conduit, dans une grande salle où il venait d’y avoir assemblée et bal. Là, Montmorency le prit à part, lui dit que Saint-Chaumont ne pouvait accepter un duel pour avoir exercé une fonction de sa charge, mais qu’il lui ferait aussi ample satisfaction qu’il serait raisonnable de le désirer. Il le mena donc au gouverneur, et celui-ci lui dit qu’il était fâché de ce qui s’était passé et désirait qu’il prit cela pour satisfaction. « C’est assez, » interrompit aussitôt le duc ; mais l’ombrageux Anglais voulut encore que Montmorency lui certifiât qu’à sa place il se contenterait de cette réparation. Il adressa la même question au marquis de Saint-Chaumont, qui lui fit la même réponse. Alors, baisant sa propre main, il la tendit au gouverneur. Celui-ci l’embrassa, et l’affaire fut ainsi terminée.

On conçoit que la mission du duc de Savoie n’eut pas de suite, et Herbert rejoignit le prince d’Orange. L’année 1615 se passa pacifiquement, et aux approches de l’hiver, il songea à revenir dans sa patrie. Chemin faisant, il eut encore une ou deux querelles qui faillirent devenir sérieuses : il les raconte avec un soin que nous n’imiterons

  1. Henri II, duc et maréchal de Montmorency, décapité à Toulouse en 1632.