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ne se contenterait pas, comme on doit s’y attendre, d’une telle histoire des religions de l’antiquité. Cependant le livre tel qu’il est ne parut pas indigne de Gérard Vossius, à qui il fut communiqué, et dont le fils Isaac l’a fait imprimer pour la première fois[1]. Il semble d’ailleurs que la pensée générale en est incertaine et confuse, et que l’argumentation en pourrait souvent être retournée contre la thèse. L’auteur développe plus les illusions et les impostures des gentils qu’il ne démontre la persistance de la foi naturelle et nécessaire du genre humain. Il ne fait pas avec assez de précision le départ entre les erreurs accidentelles et les vérités permanentes, distinction qui avait été aperçue, entreprise qui avait été essayée avant lui. Un évêque du XVIe siècle, un préfet de la bibliothèque du Vatican, Augustin Steucho, désigné souvent sous le nom d’Engubinus, a composé, dans une vue de parfaite orthodoxie, un livre De perenni Philosophia, qui peut encore se lire avec intérêt. Dans cet ouvrage, dédié au pape Paul III, il est établi, avec plus d’érudition que de critique, que la sagesse et la piété venant de la même source, la philosophie de l’antiquité a été constamment comme un christianisme tacite, et que la révélation n’a fait qu’arracher les derniers voiles à la vérité de tous les temps. Cette doctrine, dont la pensée première avoisine le système de lord Herbert, peut conduire des esprits divers à des résultats différens. Pour les uns, comme pour Engubinus[2], elle est une démonstration nouvelle de la foi évangélique, et dans notre temps où l’on exagère tout, on a même abusé de cette preuve au point de l’affaiblir. D’autres au contraire concluent simplement de la revue des croyances humaines, qu’il y a une philosophie religieuse vraie, en dehors même de la révélation, mais dont la vérité ne porte aucun préjudice à la vérité de la révélation, et c’est le point de vue de Rodolphe Cudworth et du père Thomassin de l’Oratoire. D’autres enfin veulent que l’universalité étant exclusivement le signe de la vérité, la certitude ne réside que dans ce qu’ils appellent la religion du genre humain, et ceux-ci, avec quelque respect qu’ils s’expriment, doivent être comptés parmi les adversaires du christianisme. De cette liste il est impossible de rayer le nom de lord Herbert, et c’est avec raison qu’il a été désigné comme le chef de l’école des déistes en Angleterre.

Nous ne songeons nullement à le défendre. Sans doute il parle souvent dans un langage convenable de la religion de sa patrie. Il déclare le christianisme la meilleure des religions ; mais il tient pour seul catholique, pour seul invariable, le pur théisme, dont il a dressé en cinq articles la profession de foi. Ce système a tout au moins le

  1. De Religione gentilium errorumque apud eos causis. Amsterdam 1633, petit in-4o.
  2. Augustini Steuchii Engnbini, episcopi Kisami, tomi III. De perenni Philosophia, I ; De Theologia antiquorum, II. Paris 1577. La première édition est de Lyon 1540.