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expression, et que la révolution de 1848 avait resserrée en donnant à l’empereur Nicolas le rôle éminent de protecteur de l’ordre européen, n’existe plus que dans l’histoire. Malgré la différence et peut-être l’antipathie naturelle de leurs gouvernemens, il s’opère entre la France et l’Angleterre un rapprochement qui survivra aux circonstances et qui les intéressera, quoi qu’il arrive, à leur mutuelle grandeur. L’Autriche et la Prusse ont ouvert les yeux et donné le signal à la confédération germanique, qui, en dépit de quelques princes hésitans encore ou résistans, doit passer bientôt d’une neutralité impolitique et impossible à l’hostilité directe contre les desseins que ne dissimule plus le cabinet de Pétersbourg. En défendant l’intégrité de l’empire ottoman, nous allons provoquer, ce qui n’importe pas moins à notre repos, le réveil de l’Allemagne. Le danger que Napoléon signalait sur le rocher de Sainte-Hélène à l’Europe prosternée est désormais conjuré par l’union de la France et de l’Angleterre. Pendant que nous écartons les Russes de Constantinople sous la forme brutale de la conquête, la suzeraineté qu’ils affectaient sous la forme adoucie de patronage ou d’influence se voit répudiée à Vienne et à Berlin. L’Allemagne accepte la solidarité de notre diplomatie, en attendant le moment, qui ne peut tarder, d’arborer le même étendard et de joindre ses armes aux nôtres.

Ainsi neutres, expectans ou belligérans, tous les états de l’Europe se prononcent contre les prétentions et vont faire obstacle à l’ambition de la Russie. Lord John Russell, envisageant les difficultés de cette grande entreprise, disait, il y a quelques jours, aux membres de la majorité ministérielle, que le résultat était incertain, et pour l’assurer il leur demandait de l’argent. Le peuple anglais ne marchandera pas les sacrifices ; comme il veut la fin, il voudra aussi les moyens : après avoir reçu de nous l’impulsion, il nous donnera l’exemple.

À Dieu ne plaise que je rabaisse l’importance du commandement ! Le résultat dépendra sans doute avant tout de la direction qui sera donnée aux opérations militaires ; mais si la victoire appartient en définitive aux gros bataillons, aujourd’hui plus que jamais l’argent doit faire pencher la balance : de bonnes finances donnent de puissantes années ; le gouvernement le plus riche, pourvu qu’il ait une administration prévoyante et économe, est aussi le gouvernement le plus fort.

Au point où la civilisation a conduit les peuples, toutes les armées ayant leurs traditions de bravoure, les notions de la tactique étant à peu près également répandues partout, et la science ayant fait faire aux moyens de destruction, à peu de chose près, les mêmes progrès qu’aux moyens de production, l’ascendant doit rester, en fin de