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que de résistance. Au lieu d’être le sommet, le couronnement de la pyramide sociale, le pouvoir dans cet empire ne figure aux yeux qu’un colosse sans piédestal.

Le gouvernement russe, au début, avait un grand avantage sur la France et sur l’Angleterre. Celles-ci ne voulaient pas la guerre et n’y étaient pas préparées ; lui, il se vantait d’être prêt à toute heure, et de tenir sous les armes sept à huit cent mille soldats. Il semblait n’avoir besoin ni de lever, ni d’équiper, ni de mobiliser des troupes ; Cet empire, organisé, disait-on, pour la conquête, n’avait qu’un signal à faire pour précipiter à volonté ses innombrables et irrésistibles légions sur l’Occident ou sur l’Orient. Malheur à la nation qui attirerait ces orages tout chargés sur sa tête ; l’indépendance de l’Europe n’était due qu’à la modération du tsar. Quelques étapes, qui seraient aisément franchies, le séparaient à peine de Constantinople, et la pente des chemins de fer allemands l’entraînait sur le Rhin. On n’oublie pas que le cabinet de Pétersbourg, en même temps qu’il envoyait à Constantinople le prince Menchikof, concentrait plusieurs corps d’armée sur ses frontières méridionales. Des levées d’hommes s’opéraient à petit bruit. En outre l’emprunt récemment conclu à Londres, malgré les réclamations prophétiques de M. Cobden, fournissait pour tous ces préparatifs d’importantes réserves. Le gouvernement russe était le seul qui eût fait provision par avance d’hommes et d’argent.

Ainsi l’empereur Nicolas, ayant pris de longue main toutes ses mesures, semblait n’avoir plus qu’à poursuivre devant l’Europe étonnée, et hors d’état de se défendre, l’exécution triomphante des projets que Catherine avait légués à ses héritiers. Aussi, quand les deux corps d’armée réunis sous le commandement du prince Gortchakof passèrent le Pruth, l’on se demanda si les Anglo-Français arriveraient à temps pour protéger Constantinople.

Cependant les actes ne répondirent pas d’abord aux menaces. Le cabinet de Pétersbourg ne parut pas se soucier ou se trouva hors d’état de justifier les craintes qu’il avait inspirées. À la fin de 1853, et après six mois d’occupation, l’armée russe dans les principautés n’atteignait pas le chiffre de quatre-vingt mille hommes. Ces Turcs qu’elle affectait de mépriser l’ont battue dans toutes les rencontres, à Oltenitza, à Citaté, sous les murs de Silistrie et autour de Giurgevo. Le maréchal Paskévitch lui-même, l’homme qui avait fait poser les armes à la Hongrie révoltée, le vainqueur de la Perse, de la Turquie et de la Pologne, la plus grande illustration militaire de l’empire, un général que la fortune n’avait jamais trahi, envoyé avec de puissans renforts et secondé par des lieutenans habiles, n’a passé le Danube et n’a mis le siège devant Silistrie que pour reconnaître, après une succession d’échecs meurtriers, la nécessité de la retraite. C’est lui