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Cela est-il possible aujourd’hui ? cela sera-t-il possible l’année prochaine ? En admettant que la Russie fournisse quelque temps les hommes, pourra-t-elle fournir l’argent ? Sous une forme ou sous une autre, la population de l’empire est-elle en état de payer chaque année au trésor un tribut additionnel et extraordinaire de 500 millions de francs ? Toute la question de la guerre est là, et je crois qu’il suffit de la poser pour la résoudre.

La somme d’impôts qu’un peuple peut supporter dépend de la richesse nationale. L’Angleterre paie au fisc 50 à 60 francs par tête plus aisément que la Russie 12 à 15 francs. D’où vient cela, sinon de ce que le capital anglais surpasse le capital moscovite dans une proportion beaucoup plus forte que ne l’est la différence d’un système de taxes à l’autre ? Qu’importe que le citoyen de la Grande-Bretagne soit imposé trois ou quatre fois plus que le propriétaire foncier ou le marchand de l’empire russe, si le revenu du premier est en moyenne huit ou dix fois supérieur à celui du second ?

La richesse mobilière, qui a pris de si grands développemens dans l’Europe occidentale, était naguère inconnue et ne fait que de naître en Russie. La richesse foncière est ce qu’elle peut être dans un pays qui n’a ni routes, ni canaux, ni chemins de fer, et où le soin de féconder le sol se trouve abandonné à des agrégations ou à des communautés de serfs. L’agriculture manque également de capitaux et de méthodes : elle produit peu, et n’a ni moyens de transport économiques, ni débouchés qui mettent ses produits en valeur. Cet empire n’est pas un territoire, c’est un espace à remplir, une solitude intermittente qui n’a ni foyers de production, ni centres de consommation, sauf quelques oasis comme Moscou et Pétersbourg, où s’étale un luxe effréné au milieu d’un océan de misère.

Entre l’occident de l’Europe et la Russie, la différence est celle du travail libre au travail esclave. Dans l’ordre industriel, le premier de ces termes représente l’abondance, et le second la stérilité. Le travail accompli par l’intelligence et par les bras des hommes libres ouvre à la richesse des espaces sans bornes ; en même temps, comme le veut la logique, il agrandit le champ et multiplie les formes de l’impôt. La nation anglaise, qui payait à l’échiquier, pendant l’année 1801, 34 millions sterling (850 millions de francs) en taxes de toute nature, a pu quatorze ans plus tard, grâce aux progrès de l’industrie et de l’aisance générale, fournir, sans parler des emprunts, l’énorme contribution de 72 millions sterling (1 milliard 800 millions de fr.). Sous le régime de la liberté industrielle, qui date en France de 1789, nous avons vu le revenu public monter de à ou 500 millions à 1,300 ou 1,400. Si le gouvernement russe veut réaliser les mêmes prodiges dans les contrées qui lui obéissent, il faudra qu’il émancipe le