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dupes, la somme énorme de 3,224,000,000 de francs. Le remboursement d’une dette aussi extravagante est-il matériellement possible ? L’empire moscovite ne renferme pas en papier de circulation et en monnaie métallique une valeur égale. En admettant la solvabilité des banques, les moyens d’échange, l’argent, manqueraient infailliblement. Le capital flottant, les ressources monétaires du pays y passeraient sans éteindre la dette ; c’est un gouffre à peu près sans fond et que l’on chercherait en vain à combler. Mais les banques ne sont pas solvables, et l’état, qui a garanti leurs opérations, ne l’est pas davantage.

Les établissemens de crédit n’ont pas de réserves en caisse. Les dépôts qu’on leur a versés ont été aliénés et dénaturés par l’emploi qui en était fait. Les lombards ont incorporé ces capitaux flottans à la terre. Les écus qui sont entrés dans leurs caisses se trouvent aujourd’hui représentés par des maisons, par des usines, par des domaines et surtout par des têtes de serfs. En supposant que les banques reçussent d’un pouvoir autocratique l’autorisation de résilier les contrats d’emprunt, peuvent-elles jeter en un jour toutes les propriétés de l’empire sur le marché ? On dira que les banques ont d’abord leur recours contre l’état. Sans doute l’état est leur premier débiteur, car, à moins que les avances faites au gouvernement n’aient donné lieu à une hypothèque assise sur les domaines de la couronne, circonstance sur laquelle le compte-rendu officiel ne s’explique pas, l’état, ayant emprunté en compte-courant, doit rembourser à la première sommation. Ainsi la dette flottante des établissemens de crédit, cette dette de 3 milliards, est en définitive, soit à titre direct, soit à titre de garantie, la dette du gouvernement russe. Indépendamment des charges qu’il a ouvertement souscrites, le trésor de l’empire doit aux déposans de cette gigantesque caisse d’épargne une somme de 3 milliards. Les dettes flottantes de tous les autres états de l’Europe, additionnées l’une avec l’autre, n’en représentent pas la moitié.

Les demandes de remboursement seront et elles sont déjà nombreuses et importantes ; les particuliers s’empresseront de retirer leurs dépôts, ne fût-ce que pour verser leur quote-part des contributions et de l’emprunt forcé auxquels on les condamne. Le trésor paiera donc d’une main ce qu’il recevra de l’autre ; mais comment paiera-t-il, et en quelle monnaie ? donnera-t-il de l’argent ou du papier ? Examinons de plus près cette situation vraiment extraordinaire.

Le trésor public, dans les gouvernemens de notre époque, est une grande banque chargée d’administrer la fortune de l’état, de percevoir ses revenus et de pourvoir à ses dépenses. Dans certaines contrées, le trésor délègue à des sociétés financières ou à des individus