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et ne visaient qu’à éblouir l’oreille, il aurait voulu que le virtuose aussi bien que le compositeur oubliassent pour ainsi dire qu’ils étaient des musiciens pour devenir les instrumens du poète et les interprètes passifs de la vérité logique. Si un pareil système pouvait jamais prévaloir, ce serait la négation de tous les arts. Est-ce qu’un Farinelli, un Guadagni, un Millico, pour être d’admirables virtuoses, en étaient moins pathétiques et moins touchans ? On a fait grand bruit au-delà des monts de ce qu’on appelle l’expression dramatique, qu’on semble confondre avec l’émotion du cœur, ce qui me paraît être une grande erreur. Je laisse à de plus savans que moi à décider si le compositeur dramatique doit exiger de là voix humaine des efforts qui en détruisent le charme et pousser la peinture des passions jusqu’au cri de la bête. Tout ce qu’il m’est permis d’affirmer, c’est que Gluck a exagéré un principe vrai, et que son système n’a pu réussir que chez une nation dépourvue d’instinct musical, où il n’a produit en définitive qu’une école d’insupportables déclamateurs.

— C’est soublime, c’est souperbe, s’écria avec emphase le vieux Grotto, qui était blotti dans un coin où il gesticulait comme un possédé en roulant ses gros yeux de chouette, Pacchiarotti, tu es le premier homme de notre temps, tu sei il primo uomo della nosira età, dit-il en se levant de sa chaise et avec un accent qui n’était pas moins comique que le singulier compliment qu’il adressait au célèbre sopraniste.

Après cette sortie, qui amusa beaucoup la Vicentina : — Il est certain, dit l’abbé Zamaria, qu’il est impossible de professer des idées plus saines et plus élevées sur un art qui semblerait devoir échapper à toute considération générale, et vos paroles ont d’autant plus d’autorité, mon cher Pacchiarotti, que vous êtes parfaitement désintéressé dans la question que vous défendez si bien, puisque c’est par la sobriété du style, par la grande manière de chanter le récitatif et d’exprimer la passion, que vous l’emportez sur tous vos rivaux et particulièrement sur le froid et beau Marchesi. Du reste, continua l’abbé, il n’est pas inutile de dire en passant que l’abus des fioritures et des oripeaux de la vocalisation, contre lesquels Marcello s’est élevé bien avant Gluck dans son charmant opuscule il Teatro alla moda, est plus ancien qu’on ne croit. On a prétendu (particulièrement le comte Algarotti) que c’étaient Bernachi et Pasi, tous deux élèves de Pistochi, qui avaient introduit dans la musique italienne, vers le commencement du XVIIIe siècle, ce luxe de gorgheggi qui sont un peu à l’art de chanter ce qu’étaient à la composition les combinaisons ingénieuses des contrapointistes du XVIe siècle. Il me serait très facile de vous prouver que les Grecs n’étaient point étrangers