Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’exécution d’une œuvre musicale. Il n’y a rien de plus difficile à l’homme que d’éviter les extrêmes et de rester dans les limites de la vérité ornée.

Ces réflexions de l’abbé Zamaria surprirent un peu Lorenzo, qui avait entendu rarement sortir de la bouche de son maître des paroles aussi constamment sérieuses et d’une si grande portée. Son intelligence s’ouvrait facilement aux considérations générales qui ramènent les questions d’école et de métier à un principe générateur qui les simplifie ; elle suivait avec un vif intérêt une discussion qui répondait aux tendances de sa nature. Aussi ne perdait-il pas un mot de ce que disaient Pacchiarotti et surtout l’abbé Zamaria, dont l’esprit enjoué et le caractère enfantin ne retrouvaient un peu de gravité que lorsqu’on touchait à l’objet de sa passion. L’abbé ne voyait le monde qu’à travers l’art musical, et les questions de goût étaient pour lui les seules vérités importantes de la vie. La Vicentina au contraire, qui n’entendait pas grand’chose à cette métaphysique de l’art de charmer, dont elle n’appréciait que les effets, commençait à s’ennuyer de servir ainsi de sujet à de savantes argumentations, et elle semblait dire à Lorenzo, de ses beaux yeux étonnés et remplis de malice : « Est-ce un philosophe ou bien une cantatrice qu’on veut faire de moi ? » Pacchiarotti, qui aperçut sur le front de sa belle élève de légers nuages dont il devina la cause, lui dit aussitôt : — Figlia mia, il faut chanter de meilleure musique que le morceau de ce pauvre Nasolini que vous nous avez fait entendre. Un virtuose qui ne connaît que les œuvres des maîtres contemporains ne saurait avoir de style, c’est-à-dire une manière large, soutenue, aisée, où la phrase mélodique se développe avec noblesse, et exige de la prévoyance, de la composition, une distribution intelligente des ombres et des lumières. Or, pour obtenir ce résultat, il faut absolument remonter à la tradition qui commence au XVIIIe siècle avec les œuvres et les cantates de Scarlatti, de Porpora, avec la musique pénétrante et suave de Léo et celle de Jomelli, son immortel disciple. Par-delà cette époque mémorable, il y a eu sans doute quelques chanteurs de mérite, tels que Stradella et Baldassar Ferri au XVIIe siècle, mais point d’école et aucun ensemble de doctrines dont il faille se préoccuper. C’est avec la musique dramatique, qui n’a pris une forme appréciable pour nous qu’à partir du XVIIIe siècle, que commence l’art moderne ; quant aux chanteurs de la renaissance, à ces nombreux interprètes de la musique madrigalesque et des canzoni a Liuto et a ballo qui ont précédé la naissance de l’opéra, c’est un point d’histoire qui n’intéresse que des érudits comme M. L’abbé Zamaria ou il padre Martini. Par exemple, continua Pacchiarotti, essayez un peu de nous dire une de ces cantates de Porpora qui sont là sous les yeux de Lorenzo,