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Voilà pourtant où mène l’improvisation ! Si je voulais recueillir tous les traits du même genre, je montrerais sans peine que M. de Lamartine emploie trop souvent des paroles qui ne présentent pas à son esprit de sens défini, qu’il les choisit pour leur caractère musical, sans se préoccuper de leur signification ; mais je n’insiste pas, il suffit de signaler de tels enfantillages.

Enfin, et ce sera ma dernière objection préliminaire, l’auteur confond volontiers l’histoire et la biographie. Sans doute il est important de connaître les antécédens de chaque personnage, mais il ne faut pourtant pas mettre les anecdotes au même rang que les événemens ; autrement l’histoire proprement dite s’évanouit, et nous n’avons plus qu’une suite de biographies. Avant de nous montrer Louis XVIII et Charles X sur le trône de France, il était important de nous les montrer dans l’émigration ; il était inutile de raconter en détail les moindres incidens de leur vie. M. de Lamartine recueille avidement et raconte avec une prolixité complaisante tout ce qui peut fournir un chapitre de roman. Il n’insiste pas longtemps sur l’attitude politique du comte d’Artois entre Louis XVI et le comte de Provence, mais il raconte avec plaisir les amours du comte d’Artois et de Mme de Polastron, et les sermens prononcés par le futur roi au lit de mort de sa maîtresse ; et pour que rien ne manque à la mise en scène, il a soin de rappeler que le serment est reçu par un évêque. Il est vrai que pour excuser ce récit, qui n’appartient pas directement à l’histoire, il cherche dans la mort de Mme de Polastron, dans le serment qu’elle exige de son amant, l’explication du règne entier de Charles X. Pour ma part, je doute fort que cette explication puisse contenter les esprits sérieux. Quelle promesse en effet le comte d’Artois avait-il faite à sa maîtresse ? Il lui avait juré de ne plus aimer aucune femme et de rester fidèle à son souvenir ; il lui avait juré de reporter à Dieu l’amour qu’il avait jusque-là prodigué aux choses de la terre. Eh bien ! supposons un instant que le comte d’Artois eût violé son serment : son intelligence se fût-elle agrandie ? eût-il même compris les nécessités du temps présent ? se fût-il soumis plus docilement aux événemens accomplis ? eût-il renoncé à l’espérance de ressusciter le passé et de supprimer la révolution française ? fidèle ou infidèle au souvenir de Mme de Polastron, ne devait-il pas rester sourd aux leçons de l’histoire ?

L’histoire de la restauration présente plus d’un genre de difficultés. Il ne s’agit pas seulement de recueillir avec un soin scrupuleux les documens originaux ; ce sujet est si près de nous, que l’historien ne peut guère compter sur l’attention et la sympathie du lecteur, à moins de mêler à son récit quelques détails anecdotiques d’une saveur